Ils ont perdu des centaines de milliards de dollars dans la crise. Étranglés par les dettes, ils sont à la merci du Kremlin.
Sergueï Poliakov a été retrouvé pendu le 16 janvier dans son bureau de Nijniy-Novgorod. Copropriétaire d'un réseau de boutiques de mode distribuant Versace ou Burberry dans cette cité des rives de la Volga, il a expliqué son geste par le poids insurmontable de ses dettes.
La veille, Vladimir Zoubkov, important vendeur de billets d'avion affilié à Aeroflot, s'était tiré une balle dans la tête. Lui aussi ne faisait plus face à ses créances. Ces deux suicides, présumés directement liés à la crise, ne sont pas les premiers en Russie.
La tourmente financière, relayée par la chute des cours de l'or noir, puis par celle du rouble, frappe très dur, du sous-sol de l'échelle sociale - les ouvriers clandestins du bâtiment licenciés par milliers - jusqu'au sommet - les fameux oligarques.
La fortune cumulée des vingt Russes les plus riches pesait l'an dernier plus du cinquième du PIB. Depuis l'automne, les journaux bruissent de leurs pertes colossales. Oleg Deripaska, numéro un depuis 2008, aurait perdu sur le papier 34,8 milliards de dollars, selon le quotidien les Izvestia. Soit davantage que sa fortune estimée par Forbes à 28 milliards de dollars en 2008.
Dans l'univers cloîtré des super-riches, la machine à rumeurs ne connaît pas la crise. Ainsi, Roman Abramovitch aurait annulé une dispendieuse fête de Nouvel An en Suisse. Faux, assure son conseiller de presse, l'Américain John Mann : «Il a simplement fait un changement de réservation». Plus grave encore : Abramovitch serait sur le point de vendre son bien le plus célèbre, le club de foot londonien de Chelsea. Là encore, démenti de l'intéressé, qui juge l'affaire suffisamment préjudiciable pour assigner le Sunday Times en diffamation. Le portefeuille d'Abramovitch dans Evraz, multinationale de l'acier, du charbon et du vanadium, a perdu 95 % de sa valeur, depuis mai 2008, soit 18 milliards de dollars envolés pour le propriétaire de la plus belle flottille de yachts du monde.
Fortunes bâties sur la dette
Cependant, rappelle son conseiller, le milliardaire n'a pas encore dépensé le total des 13 milliards de dollars qu'il avait gagnés en 2005 grâce à la vente du groupe pétrolier Sibneft.
Le blizzard n'en souffle pas moins sur le grand capital russe. À la fin de l'année dernière, plus d'une centaine de grands patrons faisaient la queue devant le «père Noël» Vladimir Poutine pour se partager 78 milliards de dollars de prêts. Une question de vie ou de mort pour certains empires bâtis au prix d'un endettement extérieur qui s'élèverait, selon la banque centrale, à 110 milliards de dollars. Soit une dette privée double de celle des entreprises indiennes, chinoises ou brésiliennes. Par un retournement de situation historique, l'État russe, dépouillé de ses biens il y a une douzaine d'années sous Eltsine, revient en force dans le capital des empires privés. Le premier ministre Poutine préside le conseil d'administration de la Vnechekonombank (VEB), bras financier de l'État qui octroie des prêts.
Ce sauvetage entre amis commence à faire grincer des dents. «Les deniers publics ne sont pas employés pour les intérêts du plus grand nombre mais pour sauver les avoirs d'un cercle étroit d'hommes d'affaires influents», a dénoncé il y a dix jours l'ancien numéro 1 soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, tranchant avec son soutien habituel à Poutine.
Pour obtenir un crédit de trois milliards de dollars de la banque publique, VTB, l'oligarque Vladimir Potanine a dû gager 20 % des actions qu'il détenait chez Rosbank, en plus de 18 % du capital de Nornickel, trop déprécié. Lourdement endetté et plombé par la chute des cours des métaux, Nornickel a hérité d'un nouveau président de son conseil d'administration, Alexandre Volochine, ancien chef de l'administration présidentielle.
Au Monopoly russe, les cartes sont en train d'être rebattues. Oleg Deripaska et Vladimir Potanine, tous deux actionnaires de Nornickel, proposent de constituer un géant russe de la métallurgie en invitant les autres colosses du secteur, Evraz, Metalloinvest et Mechel à les rejoindre. L'État a été officiellement sollicité pour participer à la construction de ce nouveau champion d'envergure planétaire.
Les crises ont toujours leurs perdants et leurs gagnants. Inquiété en France pour une affaire de proxénétisme après une fête mémorable à Courchevel, Mikhaïl Prokhorov se classe dans la deuxième catégorie. Il a revendu au printemps les 25 % qu'il possédait dans Nornickel, pour 7 milliards de dollars, avant de racheter pour 500 millions de dollars la moitié de la banque d'investissement en difficulté Renaissance Capital. Pour ce géant de deux mètres, la crise offre «le summum des opportunités».
Fabrice Nodé-Langlois, correspondant à Moscou
27/01/2009 | Mise à jour : 11:03
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