mercredi 9 juillet 2008

L’épouse de Medvedev, prêtresse de l’amour

Célébrer la famille et les valeurs morales : c’est le but de la femme du Président qui a organisé une fête de l’amour à Mourom, la Vérone russe.
«Enfin nous aurons notre Saint-Valentin, à la russe!», «C’est bien qu’on se soucie de la famille, elle en a bien besoin !» La petite ville de Mourom, 300 kilomètres à l’est de Moscou, a célébré hier la nouvelle Fête de la famille, de l’amour et de la fidélité, et ses habitants sont plutôt fiers de voir leur cité élevée au rang de capitale du romantisme. La Russie a enfin sa Vérone, se moque la presse nationale, mais pas trop car il s’agit tout de même d’une affaire d’Etat.
Soucieux de raviver les valeurs morales du pays, le Kremlin s’est mis en tête de donner un retentissement national à cette nouvelle célébration. La femme du nouveau Président, Svetlana Medvedeva, s’est trouvé là son premier rôle, prenant la tête du comité d’organisation, choisissant la marguerite comme symbole de la fête, et venant personnellement à Mourom s’assurer que la cérémonie y sera bien relayée dans les médias officiels. Personne mieux que «Sveta» la pervaïa lady russe n’incarne en Russie ce discret cocktail de glamour et de valeurs religieuses. Epouse modèle, Svetlana Medvedeva a lié son destin à celui qu’elle a rencontré il y a trente-cinq ans, quand ils avaient tous deux sept ans. Moscou a aussi demandé que cette nouvelle fête russe ne soit pas présentée «en opposition à la Saint-Valentin», même si tout le monde ne songe qu’à cela : il s’agit bien de lancer une nouvelle fête russe et orthodoxe de l’amour, alternative à la Saint-Valentin «occidentale» et «commerciale».
Promesse. Les Roméo et Juliette russes s’appellent Piotr et Fevronia, et sont d’ailleurs de curieux amoureux. Au XIIIe siècle, le prince Piotr, gravement malade, aurait fait appel à la paysanne Fevronia, promettant de l’épouser si elle le guérissait. Une fois sauvé, Piotr mangea sa promesse, et seule une rechute le décida à épouser Fevronia. Par la suite, Piotr préféra tout de même renoncer au trône de Mourom plutôt que se séparer de sa paysanne. Le mythe veut ensuite que les deux amoureux soient morts le même jour, un 8 juillet. Enterrés dans deux monastères différents, ils se seraient retrouvés le lendemain, dans la même tombe. Tout cela n’est bien sûr que légende, basé sur un récit du XVIe siècle. L’histoire ne dit même pas s’ils eurent beaucoup d’enfants.
« A l’origine, le mythe célébrait moins les valeurs familiales que la victoire du christianisme sur le paganisme, rappelle l’historien local Iouri Smirnov, Fevronia s’étant convertie en épousant Piotr.» Huit siècles après Piotr et Fevronia, c’est l’amour que les autorités voudraient aujourd’hui réanimer avec cette belle légende. A Mourom même, le nombre de divorces égale presque celui des mariages : sur les six premiers mois de l’année, la Vérone russe a compté 318 divorces, pour 377 mariages. Le nombre des morts excède aussi largement celui des naissances : 1273 décès pour 714 bébés. «La vie de famille est un travail, un difficile travail, explique Nina Smirnova, l’énergique directrice du palais des mariages de Mourom, elle-même heureuse mariée depuis trente ans. Notre jeunesse n’y est pas toujours prête. Beaucoup de jeunes, souvent enfants uniques, sortent tout juste des ailes de papa et maman et ne supportent pas le travail quotidien que représente un mariage.»
Familles modèles. A la sortie du bureau d’état civil, Katia, 25 ans, confirme : «Autour de moi, je ne vois que des divorces. Les gens font la noce puis en ont marre et se séparent au bout de quelques semaines ou quelques années.» Mais les raisons sont aussi économiques souvent, souligne-t-elle: «A Mourom, les usines qui fonctionnent encore embauchent pour 5 000 roubles par mois (140 euros), à peine de quoi payer les charges d’un appartement. Moi-même, je voudrais bien avoir un enfant et même deux, mais pour cela, il faudrait avoir les moyens de les nourrir et de payer leur éducation.»
L’amour existe bien pourtant à Mourom et peut même se visiter, au deuxième étage d’un HLM décrépi : les époux Sokolov forment l’une des familles modèles qui seront décorées ce mardi d’une médaille de la fidélité conjugale. Nikolaï et Lioudmila ont fêté cet hiver leurs 55 ans de mariage, et Nikolaï, ancien officier, encore bien droit pour ses 80 ans, peut révéler le secret d’une si belle endurance: «Quand ma femme essaie encore de m’éduquer, je serre les dents et ne dis rien, ça finit par passer.» Nikolaï et Lioudmila ont deux filles, trois petits-enfants et attendent bientôt leur premier arrière-petit-fils. Même dans cette famille modèle, les temps modernes ont pourtant coûté leur tribut: la fille aînée a divorcé après trente ans de mariage. «A l’époque soviétique, se souvient Nikolaï, un divorce faisait tâche sur une biographie. Quand un couple voulait divorcer, le mari était convoqué devant une commission du Parti, qui lui demandait de bien réfléchir. Aujourd’hui, notre jeunesse n’est plus sérieuse. Il faudrait des mesures plus sévères», plaide l’officier, sans préciser quelles «mesures radicales» il prône. L’époux modèle fait confiance «à nos grands hommes politiques» qui, pour commencer, ont proposé une fête. Une preuve encore que la Russie a bien changé.
Envoyée spéciale à Mourom LORRAINE MILLOT
QUOTIDIEN : mercredi 9 juillet 2008
LIBERATION.FR

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