algré la crise économique, le Monopoly russe continue. Forte de ses importantes réserves monétaires - 385 milliards de dollars (305 milliards d'euros) en devises dans les coffres de la Banque centrale et environ 170 milliards (135 milliards d'euros) dans le Fonds de stabilisation -, la Russie joue les bailleurs de fonds à l'égard des Etats les plus vulnérables de sa périphérie, en quête de crédits bon marché et de projets d'investissements. En retour, elle veut des concessions militaires et politiques.
Première servie, la Biélorussie a reçu récemment de Moscou la deuxième tranche d'un prêt de 2 milliards de dollars (1,59 milliard d'euros). Confrontée à une brusque dépréciation de sa monnaie, cette république postsoviétique située à la charnière de l'Union européenne est étroitement dépendante de sa voisine russe, qui la fournit en gaz et en pétrole à "prix d'ami".
Les deux Etats sont également liés par un projet de fusion politico-militaire, en cours d'élaboration depuis plus de dix ans. Pas étonnant dès lors qu'elle ait été secourue en priorité. La première tranche a été versée à l'automne 2008, la deuxième début février, au moment de la visite à Moscou du président biélorusse, Alexandre Loukachenko.
En échange, le batka (le père) a dû faire des concessions ; il s'est engagé à faire fusionner la défense antiaérienne de son pays avec celle de la Russie. En discussion depuis 2001, ce projet, qui prévoit un poste de commandement à Moscou, est un sérieux compromis de la part de Minsk qui, jusqu'ici, se faisait prier.
Autre allié de Moscou dans le besoin, le Kirghizstan, l'un des Etats les plus pauvres de l'Asie centrale postsoviétique : il a lui aussi sollicité l'aide du grand frère. En visite à Moscou le 4 février, son président, Kourmanbek Bakiev, a été entendu. Il a obtenu de la Russie un paquet d'aide de 2 milliards de dollars sous forme de prêts et d'investissements russes dans le secteur de l'énergie, ainsi que l'effacement de la dette de son pays.
Au sortir de l'entretien avec son homologue russe, M. Bakiev s'est empressé d'annoncer la fermeture de la base américaine de Manas, une installation clé pour l'approvisionnement des troupes de la coalition de l'OTAN en Afghanistan. La Russie, qui souhaitait depuis longtemps le démantèlement de la base, affirme n'être pour rien dans cette décision.
Officiellement, le président kirguiz Bakiev a expliqué cette fermeture par le refus de Washington d'augmenter le loyer versé pour l'utilisation de la base et de son aéroport. Reste que l'éviction des Américains est clairement une victoire pour la Russie. Hanté par la restauration de sa puissance perdue, Moscou cherchait depuis longtemps à reprendre pied en Asie centrale, une zone perçue par l'élite politico-militaire russe comme son arrière-cour.
MESSAGE LIMPIDE
Jeudi 19 février, le Parlement du Kirghizstan, dominé par les partisans du président Bakiev, a mis la dernière touche à la fermeture de Manas. Le texte qui annule l'accord américano-kirghiz de 2001 portant sur la création de la base a été approuvé par 78 des 81 députés présents. Seul un parlementaire a voté contre. Les Etats-Unis ont indiqué qu'ils tenaient à la base et souhaitaient négocier, mais pas "à n'importe quel prix". Après avoir été informés par voie diplomatique, les locataires de la base auront 180 jours pour plier bagage.
La décision de fermer Manas intervient au moment où les Etats-Unis et leurs alliés souhaitent renforcer leurs opérations contre les talibans. La question est d'autant plus cruciale que l'approvisionnement des soldats en Afghanistan depuis le Pakistan voisin est compliqué par les attaques lancées par les talibans sur les convois.
L'attitude du Kremlin paraît schizophrénique. D'une main, la Russie barre la route de l'Alliance en fermant Manas, de l'autre elle s'engage à "faciliter les opérations dans la région", comme l'a proposé Dmitri Medvedev le 6 février. En échange de la main tendue, la Russie attend des concessions sur l'installation du bouclier antimissiles américain en Europe centrale et sur l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie.
Le message est limpide : la Russie est le seul maître à bord sur les marches de l'ex-Empire soviétique. Reste à savoir si la Fédération russe, en pleine tourmente économique, a les moyens de ses ambitions. La crise serait "une opportunité", a expliqué récemment Elvira Nabioullina, ministre russe du développement économique.
L'appétit de l'Etat russe s'est récemment porté sur l'Ukraine. La Vnechekonombank (l'équivalent de notre Caisse des dépôts), dont le comité directeur est dirigé par Vladimir Poutine, a racheté la banque Prominvestbank, sixième banque ukrainienne.
Plus étonnant encore, Kiev est en pourparlers avec Moscou pour l'obtention d'un prêt de 5 milliards de dollars (4 milliards d'euros), destiné à couvrir le déficit du budget. En échange de quelles concessions ? L'économie ukrainienne, en pleine récession - production industrielle en recul de 34 % sur un an, chute de 40 % de la hrivna, la monnaie nationale -, laisse les dirigeants de Kiev à la merci de Moscou.
La société énergétique ukrainienne Naftogaz a évoqué jeudi "un possible" problème de paiement pour le gaz russe, un mois après la fin de la guerre du gaz ukraino-russe, qui a perturbé l'approvisionnement européen. La compagnie nationale ukrainienne a reconnu une "croissance catastrophique des dettes" accumulées par les services municipaux. Une troisième guerre du gaz pourra-t-elle être évitée ?
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