La lettre est écrite avec le sang d’un prisonnier : «Ils me tuent, j’ai les côtes cassées, la tête brisée, mes reins ne fonctionnent plus, je ne peux plus marcher. Je suis devenu invalide. Ils ne reçoivent pas mes plaintes. J’ai peur pour ma vie», écrivait le 30 mars un détenu de la prison de Kopeïsk, dans la région de Tcheliabinsk, à environ 2 000 kilomètres à l’est de Moscou.
Deux mois plus tard, les autorités pénitentiaires ont dû reconnaître que quatre prisonniers ont été tués dans cette même prison, à force de coups. Selon la version officielle, les détenus, armés d’une lame et de morceaux de métal, se seraient attaqués aux gardiens de la prison, qui auraient ensuite réprimé la mutinerie à l’aide de leurs matraques en caoutchouc. Les militants des droits de l’homme, qui ont pu recueillir les témoignages de plusieurs prisonniers et anciens détenus, doutent pourtant qu’il y ait pu avoir émeute dans cet établissement : les tabassages font plutôt partie des procédures habituelles pour «discipliner» les détenus, dénoncent-ils.
«En finir». Sur les 700 prisons en Russie, une quarantaine ou une cinquantaine - dont cette prison de Kopeïsk -, pratiquent encore la torture pour «casser» les prisonniers, estime Lev Ponomarev, directeur du Mouvement russe pour les droits de l’homme. «J’ai passé une partie de ma peine dans la prison de Kopeïsk et pendant quatre ans j’ai été battu comme ça, témoigne Iouri Skogarev, 37 ans, libéré en mars après huit années de détention. Les gardiens entraient dans les cellules, jetaient toutes nos affaires et nous battaient avec leurs matraques, ou bien nous pourchassaient dans les couloirs en nous frappant encore. Quand j’ai voulu porter plainte, j’ai été battu encore plus, jusqu’à perdre conscience. A l’époque, moi aussi j’écrivais des lettres avec mon sang. Je ne suis pas suicidaire, j’avais une fille et des parents qui m’attendaient dehors, mais à l’époque je m’ouvrais moi aussi les veines pour en finir.»
Dès leur arrivée à la prison de Kopeïsk, les détenus sont entièrement déshabillés et fouillés jambes écartées. Un film que les détenus ont réussi à faire sortir permet de prouver que les soi-disant mutins n’avaient certainement pas pu s’armer de barres métalliques. Un des rites de «cassage» psychologique veut ensuite que les détenus lavent les sols et les cuvettes de WC avec un petit chiffon. «Si on refuse, on est battu, ou menacé de viol», résume Vladimir Gladkov, un autre ex-détenu, sorti en février. Quand il est arrivé à Kopeïsk, se souvient l’ancien prisonnier, le chef de service hurlait : «Ici, il n’y a pas de loi, pas de pouvoir ! Vous vous souviendrez toute votre vie de votre passage ici !»
«Aucun accès». Par rapport aux années 90, les conditions de vie ou l’alimentation se sont «nettement améliorées» ces dernières années dans les prisons russes, atteste Lioudmila Alexeeva, présidente du groupe d’Helsinki de Moscou, qui a contribué à recueillir ces témoignages. «Mais nous, les défenseurs des droits de l’homme, n’avons plus aucun accès libre aux prisons, contrairement aux années 90, constate-t-elle. Et les pratiques visant à "briser" les prisonniers se multiplient ces derniers temps. C’est une honte pour notre Etat, et une honte pour nous les défenseurs des droits de l’homme si nous n’arrivons pas à faire cesser cela.»
Ces deux dernières années, les soulèvements de prisonniers sont aussi de plus en plus fréquents, relèvent les militants qui ont recensé pas moins de 53 actions de protestations depuis 2006 (grèves de la faim, automutilations, émeutes, etc). «C’est une menace pour toute notre société», souligneLev Ponomarev.
«Il y a des problèmes dans le système d’application des peines», a reconnu hier le nouveau président russe Dmitri Medvedev. De nombreuses plaintes remontent jusqu’au Kremlin, a poursuivi Medvedev, reconnaissant que les prisons russes «sont encore loin des exigences modernes et des standards des pays développés». De «nouvelles approches» sont nécessaires, a encore indiqué le remplaçant de Vladimir Poutine, «de nouveaux financements» mais aussi «un changement de la relation de toute la société vis-à-vis du système pénitentiaire».
Casseurs.Au sein même du pouvoir russe, les résistances à tout «changement» sont encore bien visibles : à la conférence de presse des défenseurs des droits de l’homme, hier à Moscou, s’était invité un député de la Douma, Sergueï Abeltsev, du parti ultranationaliste LDPR, accompagné de tout un bataillon de casseurs. Ils étaient venus non pas s’informer des problèmes des prisons, mais balancer des œufs sur les défenseurs des droits de l’homme.
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