lundi 3 mars 2008

Dmitri Medvedev, tsar ou vizir ?

Installé dans l'entourage de Vladimir Poutine depuis 1990. Dmitri Medvedev, 42 ans, a su se hisser au sommet sans se mettre en avant.
AP/Dmitry Astakhov.


Au début de son premier mandat, Boris Eltsine plaisait pour son côté moujik doté d'une bonne descente et capable de saines colères. Après lui, Vladimir Poutine, avec son style tchékiste (de Tcheka, l'ancêtre du KGB, la police politique soviétique) et son intention de "buter jusque dans les chiottes" les terroristes fait un véritable tabac auprès de la population. Dmitri Medvedev, son successeur désigné, n'a rien du tchékiste ni du paysan. Voix douce, langage recherché, l'ancien professeur de droit de Saint-Pétersbourg fleure bon l'intellectuel. Il est poli, effacé, aimable même.


Ses qualités seront-elles appréciées ? N'est-il pas trop occidental, trop doux, en un mot, pas assez russe ? L'inquiétude perce : "Vous avez vu ses mains ? Ce sont celles d'un enfant de 14 ans. Comment peut-il diriger la Russie, le plus grand pays du monde, avec des mains pareilles ?", interroge une vendeuse de journaux. Son visage poupin et ses manières policées ne sont pourtant pas le signe d'une quelconque flexibilité. Le futur locataire du Kremlin "peut être dur si la situation l'exige", rassure Valéry Moussine, un de ses anciens professeurs à la faculté de droit de Saint-Pétersbourg. "Au moment des examens, il ne laissait rien passer", confirme Olga, qui fut son élève dans la même faculté. Des précisions importantes, dans un pays où la douceur et la petite taille (1,62 m) sont perçues comme de la faiblesse.

Dmitri Medvedev, 42 ans, sera le plus jeune dirigeant que la Russie ait connu depuis Nicolas II, le dernier tsar de la dynastie Romanov, assassiné par les bolcheviks en 1918. Le futur président russe reconnaît, non sans plaisir, avoir dans le visage une certaine ressemblance physique avec le tsar martyr - la barbe en moins. La comparaison s'arrête là. Nicolas II, lui, était faible.

D'ailleurs, contrairement au tsar, réputé soumis aux quatre volontés de la tsarine, Dmitri Medvedev décide, au sein du couple qu'il forme avec Svetlana, sa femme, rencontrée à l'âge de 13 ans sur les bancs du collège. "Après la naissance de notre fils Ilya, j'ai dit à Sveta qu'elle ne devait pas retravailler (...). Elle a eu beau remettre le sujet sur le tapis, je lui ai expliqué qu'à mon sens il valait mieux qu'elle reste à la maison", a-t-il confié dans l'unique entretien qu'il a accordé récemment, au magazine Itogui.

Malgré sa bouille de premier de la classe, Dmitri Medvedev suscite les mêmes interrogations que Vladimir Poutine en 1999, lorsqu'il fut désigné par Boris Eltsine pour lui succéder. Qui est donc ce bureaucrate discret, inconnu du grand public il y a encore trois ans ? Un fonctionnaire aux ordres ? Un libéral convaincu ? Le jouet de Vladimir Poutine ?

Pour contrer son apparente faiblesse, l'impétrant s'est mis à copier son mentor, fustigeant l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) "qui prend ses ordres à Washington", accusant le British Council, le bras culturel de la diplomatie britannique dont les représentations en province viennent d'être fermées par le Kremlin, de se livrer à "des activités de renseignement".

Il peine à convaincre. Son ton neutre, son langage recherché, le placent à mille lieues de Vladimir Poutine, prompt aux blagues de régiment. "Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je n'ai pas mis de couches aujourd'hui, alors il faut conclure", expliqua un jour Vladimir Poutine après trois heures et demie de conférence de presse au Kremlin. "Dmitri Medvedev ne dira jamais rien de tel. C'est pourtant ce qui a valu à Vladimir Poutine sa popularité", semble regretter Olga. Mais tout bien réfléchi, l'ancienne étudiante n'est pas contre le style Medvedev. De toutes façons, elle aura les deux puisqu'ils vont travailler en tandem, Dmitri Medvedev au Kremlin, Vladimir Poutine à la Maison blanche, le siège du gouvernement.

Sur les affiches de campagne, les deux présidents - le futur et le sortant - sont côte à côte, presque à égalité. Mais à y regarder de plus près, Vladimir Poutine devance toujours son protégé de quelques centimètres. Et puis il l'a bien dit, il ne se sentira pas obligé de suspendre un portrait de son successeur dans son bureau. Leurs relations sont celles d'un père à un fils, "plutôt d'un professeur à son élève, Vladimir Poutine va l'aider", confie Valéry Moussine, qui fut leur professeur. D'une manière ou d'une autre, le jeune Medvedev doit tout à son maître.

Fils d'enseignants du supérieur à Saint-Pétersbourg, Dmitri a grandi à Kouptchino, un quartier périphérique de l'ancienne capitale impériale, où la famille a reçu de l'Etat, à la fin des années 1970, un 40 m2 dans une HLM flambant neuve, avec "toilettes à part", un luxe pour qui a connu les files d'attente matinales devant le WC collectif de la kommounalka, l'appartement communautaire.

C'est à la faculté de droit de Pétersbourg, où Vladimir Poutine l'a précédé de dix ans, que son destin va basculer. Etudiant brillant, Dmitri Medvedev est remarqué par Anatoli Sobtchak, un démocrate élu maire de Saint-Pétersbourg à la faveur de la perestroïka des années 1990. Le maire cherche un assistant, recrute le jeune Medvedev.

"Personne ne faisait très attention à lui, il avait 25 ans, son travail était de prendre les appels téléphoniques destinés à Sobtchak", raconte Boris Vychnevski, un opposant démocrate. Mais Vladimir Poutine, adjoint de Sobtchak, remarque ce jeune homme actif qui partage son temps entre la mairie, la faculté où il enseigne le droit civil et des petits boulots de conseil.

Très vite le courant passe entre les deux hommes. Dmitri Medvedev est bientôt engagé comme consultant juridique pour le comité aux relations économiques extérieures de la mairie, dirigé par Vladimir Poutine. Le jeune juriste tire son patron de quelques mauvais pas. Il contre les accusations de corruption lancées par un groupe de députés de la Douma (le Parlement) de Saint-Pétersbourg.

Ce groupe, emmené par la députée Marina Salie, avait exposé les malversations du comité aux relations économiques extérieures de la mairie et demandait le renvoi de son chef. Le rapport a fait long feu et Marina Salie, octogénaire aujourd'hui retirée de la politique, ne parle à personne depuis qu'elle a reçu de quelqu'un de très haut placé un télégramme lui souhaitant une longue vie, sauf accident...

A l'époque, le crime et la mafia gangrènent Saint-Pétersbourg. Le responsable des privatisations de la mairie, Mikhaïl Manievitch, est tué en plein jour sur l'avenue Nevski par un tireur d'élite ; la députée Galina Starovoïtova est assassinée par balles sur le palier de son appartement. Ces meurtres et bien d'autres encore n'ont jamais été élucidés.

L'organisation criminelle de Tambov a longtemps régné sur la ville, mais peu à peu ses représentants se sont éclipsés, les uns en cavale, les autres coulés dans le béton. Dmitri Medvedev a côtoyé ce monde interlope sans se salir. C'est plutôt rare. "Pas une tache, j'ai eu beau fouiller, je n'ai rien trouvé sur lui", explique un journaliste à Pétersbourg. Tout est propre, même son passage à Ilimp Pulp, une firme de fabrication de pâte à papier, où il a fait office de consultant entre 1996 et 1999.

Ce qui frappe chez Medvedev, c'est sa capacité à se hisser au sommet sans se mettre en avant. Lorsque Vladimir Poutine fait son grand saut de Saint-Pétersbourg au Kremlin, en 1997, il ne l'emmène pas, mais il "embarque" Igor Setchine, son fidèle lieutenant. Le jeune consultant n'arrive qu'en 1999, pour se voir confier la campagne électorale de Vladimir Poutine, alors premier ministre. Très vite, il va dépasser tout le monde. Il monte, devient chef adjoint puis chef de l'administration présidentielle, où ses collègues le surnomment "le Vizir". Bientôt, il est l'oeil du maître au sein de Gazprom, le géant du gaz, dont il préside encore aujourd'hui le conseil d'administration.

Nommé successeur éventuel de Vladimir Poutine en 2005, il est mis en concurrence avec Sergueï Ivanov, un général de l'ancien KGB, confit en soviétisme, qu'il dépasse aisément. Difficile de lui trouver des ennemis. Rouslan Linkov, ancien attaché parlementaire de la députée assassinée Galina Starovoïtova, infatigable critique de Vladimir Poutine, est enthousiaste : "C'est un vrai juriste, il sait travailler en équipe, il est à l'écoute, et puis il n'est absolument pas arrogant."

Çà et là, l'espoir surgit. On parle de dégel, d'un changement de ton en politique étrangère, de conditions de détention améliorées pour Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien magnat du pétrole russe condamné en 2005 à huit ans de camp et relégué à 7 000 km de Moscou. Et puis il y a les "projets nationaux" - la santé, l'éducation, l'agriculture, le logement - que Vladimir Poutine lui a confiés, pour quatre ans, a-t-il été précisé. L'ambition est de faire de la Russie une des économies les plus développées au monde.

Les frêles épaules de Dmitri Medvedev supporteront-elles le fardeau, l'inflation qui galope (12 %), l'endettement des grandes compagnies publiques, la trop grande dépendance de l'économie aux matières premières, la réforme du système judiciaire, la lutte contre la corruption ? "Medvedev s'est assis au volant d'une vieille Jigouli (voiture soviétique), soupire la politologue Lilia Chevtsova, le moteur s'est détraqué, les pneus sont lisses mais lui et Poutine prétendent dépasser l'Occident avec cette Jigouli."

Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 02.03.08.
Le Monde
http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/03/01/dmitri-medvedev-tsar-ou-vizir_1017717_3214_1.html

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