De jeunes cadets de l'armée à Vladikavkaz (Ossétie du Nord).
Crédits photo : Aytunc AKAD/PANOS-REA
Le service militaire, de sinistre réputation, a été réduit de deux à un an. Mais il est plus difficile d'y échapper.
Comme à chaque printemps, ils sont des milliers de jeunes garçons russes à avoir peur. Des milliers de parents aussi, à redouter le 1er avril. Jusqu'au 15 juillet, l'armée lance l'«appel de printemps» et va tenter d'enrôler 133 000 jeunes de 18 à 27 ans. Cette année apporte aux appelés réfractaires une bonne et une mauvaise nouvelle : la durée du service militaire a été réduite de deux ans à un an, mais les motifs d'exemptions sont réduits. L'an dernier encore, Dmitri aurait pu échapper à l'armée. Avec les nouvelles règles, c'est fini. Âgé de 20 ans, ce solide gaillard qui porte un sweat-shirt orné de la tour Eiffel, est marié. «Ma femme est enceinte de sept mois, comment va-t-elle faire ?» Cheminot, Dmitri gagne un bon salaire de 20 000 à 25 000 roubles par mois (570 à 715 €). «Un policier du quartier est déjà venu chez moi et m'a menacé de m'arrêter si je ne pointe pas au commissariat.» Dmitri est venu ce soir-là au bureau de l'union du Comité des mères de soldats.
Un budget de 40 milliards de dollars
Dans ce petit deux-pièces encombré de paperasses, Valentina Melnikova anime comme chaque semaine depuis des années une réunion d'information pour les parents et les jeunes, inquiets. Ce petit bout de femme énergique, avec ses cheveux courts teints en roux, donne tous les tuyaux pour constituer un dossier médical crédible. Jusqu'à présent, à Moscou, la moitié des appelés obtenaient un sursis pour poursuivre leurs études, et un tiers se faisaient exempter pour raison de santé.
Le jeune cheminot Dmitri, n'est inquiet que pour son futur bébé : «Je n'ai pas peur d'être battu», assure-t-il. Pour nombre de mères, le service est synonyme de sévices. Le suicide d'un jeune soldat a encore alimenté la chronique la semaine dernière. Et tous les Russes gardent en mémoire l'histoire dramatique d'Andreï Sytchev, qui fut amputé, voici deux ans, des jambes et des organes génitaux à la suite d'un tabassage. Un rapport de l'ONG «le Droit de la mère» évaluait en 2006 à 3 000 le nombre de militaires morts hors combat. Accidents, bizutages, suicides.
La réduction de la durée du service militaire une révolution intervient dans le cadre de la réforme de l'armée. Vladimir Poutine est convaincu depuis l'humiliation de la première guerre de Tchétchénie qu'une armée professionnelle est plus efficace qu'une armée d'appelés en cas de conflit. Le budget annuel de la défense est passé de 5 à 40 milliards de dollars, entre 2000 et 2008. L'ex-Armée rouge bombe de nouveau le torse. En envoyant par exemple ses bombardiers stratégiques Tupolev-95 chatouiller les espaces aériens britanniques, scandinaves, japonais ou américains.
Bizutages et racket
Mais dans les casernes, la situation tarde à s'améliorer. Sans parler du problème lancinant des logements des officiers auquel le président élu, Dmitri Medvedev, a promis de s'atteler, les kontraktniki les engagés volontaires désertent par centaines. Chaque jour, le Comité des mères de soldats reçoit des appels ou des visites de déserteurs. «Appelés ou engagés, ils sont confrontés aux mêmes problèmes, résume Valentina Melnikova. Bizutages et racket sont monnaie courante». «Souvent, les appelés sont forcés à signer des contrats d'engagement.»
Sacha, 20 ans, s'est engagé «pour faire comme les copains» après trois mois de service. Dans son unité au Daguestan, il touchait 12 000 roubles. Le double de la solde ordinaire. Mais, affecté de force dans une autre région, moins bien payé, racketté, battu par ses supérieurs, il a déserté il y a quelques jours et s'est réfugié dans un hôpital psychiatrique.
Un rapport officiel de 2006 indiquait que seulement 15 à 19 % des volontaires signaient un second contrat si bien que les officiers professionnels manquent cruellement à l'armée russe. Certains commandants cachent le nombre de déserteurs pour percevoir les soldes, affirme l'expert Alexandre Golts. C'est pour s'attaquer à la corruption dans l'armée que le civil Anatoli Serdioukov a été nommé ministre de la Défense il y a plus d'un an par Poutine. Qui l'a confirmé à ce poste malgré la nomination, en septembre, de son beau-père, Viktor Zoubkov, comme premier ministre.
«Nous voulons une autre armée !», scandaient samedi quelque 300 manifestants opposés au service militaire en défilant dans un quartier excentré de Moscou. «En Russie, les gens ne croient pas que l'on peut changer le système dans la rue, regrette Valentina, une jeune manifestante, ils préfèrent payer.» C'est le cas de Sergueï. Il a rendez-vous aujourd'hui avec un major. Pour son fils. Acheter l'exemption peut coûter autour de 3 000 dollars, presque trois fois le salaire de chauffeur de Sergueï. Mais pour 1 000 dollars, si le major joue le jeu, le fils de Sergueï sera affecté à Moscou. Un moindre mal.
De notre correspondant à Moscou Fabrice Nodé-Langlois31/03/2008 Mise à jour : 07:22 LeFigaro.fr
http://www.lefigaro.fr/international/2008/03/31/01003-20080331ARTFIG00250-l-ancienne-armee-rougese-reforme-dans-la-douleur.php
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