lundi 25 février 2008

La Russie confrontée à une catastrophe sanitaire

À l'hôpital de la petite bourgade de Taroussa, malgré le manque de moyens, Vladimir a pu être opéré sans payer, chose inimaginable à Moscou et dans les grandes villes où les cliniques privées aux coûts exorbitants poussent comme des champignons . (Nodé-Langlois/Le Figaro)

Le système de santé qui faisait la fierté de l'URSS s'est effondré. Poutine dit vouloir en faire une priorité de la prochaine présidence.

De notre correspondant à Moscou

LA RUE DÉFONCÉE n'est qu'un cloaque de boue et de neige fondue. Face aux petites isbas bancales, se dressent deux petits bâtiments de trois étages en briques blanches crasseuses : l'hôpital de Taroussa. Moscou n'est qu'à une centaine de kilomètres mais Taroussa, bourgade de moins de 10 000 habitants respire déjà la Russie profonde. Sur le palier du premier étage à la peinture écaillée, un vieillard en pantoufles tire sur sa cigarette. La boîte de conserve qui fait office de cendrier déborde. Une odeur de soupe se mêle à celle de désinfectant dans le couloir badigeonné en vert amande. Les chambres à cinq lits sont évidemment dépourvues de toilettes et de douche. L'infirmière a honte de montrer les toilettes de l'étage.

Le système de santé qui faisait la fierté de l'URSS s'est effondré. Et avec lui l'état de la population. Chiffre le plus frappant : l'espérance de vie des hommes. De niveau européen dans les années 1970, elle a chuté jusqu'à 59 ans. Dans son discours du 8 février sur les perspectives de la Russie pour 2020, Vladimir Poutine, avec un volontarisme sarkozyen, a déclaré qu'il fallait « tout faire » « pour que l'espérance de vie atteigne 75 ans vers 2020 ». Le défi est colossal. Le tabac, l'hypertension et le cholestérol seraient responsables des trois quarts des décès selon Gerhard Symons, de l'Imperial College de Londres , cité par Russia Profile. La prévention est balbutiante. L'alcoolisme fait toujours des ravages. L'épidémie de sida, sous-évaluée, et la tuberculose menacent.

Avec le logement, la santé est la préoccupation majeure des Russes. En toute logique, elle constitue l'une des priorités du candidat à la présidentielle Dmitri Medvedev, assuré d'être élu dans huit jours. Depuis 2006, le même Medvedev, vice-premier ministre, pilote les quatre « projets nationaux » (logement, éducation, agriculture et santé). Dans ce cadre, l'État a consacré environ 3,7 milliards d'euros en 2007 pour la santé.

À l'image de la Russie, l'hôpital de Taroussa 25 médecins, 150 employés et 135 lits , est en pleine transformation. Un étage est en rénovation. Le « projet national » a financé un nouvel appareil de fluorographie permettant un meilleur diagnostic de la tuberculose pour 150 fois moins de rayonnement. Les crédits officiels restent malgré tout insuffisants. Aussi, le dynamique cardiologue de l'hôpital, Maxim Ossipov, sollicite-t-il des aides extérieures, privées, à l'étranger parfois, pour financer des équipements. Le tout nouveau respirateur artificiel financé par l'Association des amis de Taroussa a déjà sauvé des vies. À 45 ans, le Dr Ossipov a un profil encore atypique en Russie : il a étudié un an à San Francisco. Deux jours par semaine, il consulte à Taroussa, la ville de son enfance. Le reste du temps, il gère sa maison d'édition spécialisée dans la traduction d'ouvrages médicaux. Il a publié une chronique littéraire dans la tradition de la médecine humaniste. Empreint d'empathie et de désespoir, il dépeint ses patients fatalistes, leur « dédain pour la vie », cette idée répandue qu'après 60 ans, il est inutile de se soigner, le joug « de l'argent et de l'alcool ». « Le problème n° 1 de la santé en Russie, analyse le praticien, c'est le manque de médecins, et de médecins formés. » « Mon fils est en quatrième année de médecine. Il apprend sur les mêmes manuels qu'il y a vingt ans ! » En outre, « pour entrer à l'institut médical, tu es obligé de verser un pot-de-vin », ajoute Vladimir Alexeïevitch, un autre médecin de Taroussa.

Le fléau de la contrefaçon

Malgré ses manques de moyens, le petit hôpital est un havre d'humanité. Les vieux de Moscou qui viennent se reposer l'été à la datcha se soignent ici. Avantage : l'assurance obligatoire parvient à couvrir les salaires des médecins, les médicaments de base. Et même les repas, pour 21 roubles par jour (60 centimes). « À Moscou, les soins gratuits n'existent pas », résume Marina, chirurgienne à Taroussa. Galina par exemple a été hospitalisée d'urgence à la capitale. On lui a dit qu'un examen par IRM était indispensable pour le diagnostic. Mais c'était 2 000 roubles comptant ou rien. Macha, une autre Moscovite a dû débourser une fortune, 1,5 million de roubles (43 000 €) pour obtenir à temps son opération de l'estomac. Dans les grandes villes, les cliniques privées dentaires, gynécologiques, ou de kinésithérapie poussent comme des champignons. Avec une offre de soins très inégale. Car tout s'achète, même les diplômes. Dans cette jungle sanitaire, les médicaments gratuits manquent et la contrefaçon reste un fléau.

Note d'espoir, le projet national a permis des augmentations de salaires. Importantes en pourcentage tant on part de bas. Mais dérisoires pour le porte-monnaie. Les infirmières fuient Taroussa en quête de revenus attractifs dans les grandes villes. Marina, dix ans de chirurgie, ne gagne que 12 000 roubles mensuels (345 €) ! Moins que certains ouvriers à Moscou. Pour arrondir ses fins de mois, elle profite de la dualité de la nouvelle Russie. Se soigner est un luxe pour la majorité, mais une minorité s'offre des séjours de luxe en maison de repos. Son second emploi, Marina l'exerce dans l'établissement privé de son mari, comme esthéticienne.

Fabrice Nodé-Langlois
Le Figaro
22/02/2008 | Mise à jour : 20:46 |
http://www.lefigaro.fr/international/2008/02/23/01003-20080223ARTFIG00153-la-russie-confrontee-a-une-catastrophe-sanitaire.php

Aucun commentaire: