vendredi 29 février 2008

Sous Poutine, la province russe s'est métamorphosée

Dimitri Medvedev, le dauphin de Vladimir Poutine qui doit être élu dimanche, fait face à un défi : transformer la manne des hydrocarbures en développement économique. Reportage.

À 500 kilomètres de Moscou, Voronej connaît un boom du commerce. Partout fleurissent boutiques, restaurants, clubs de remise en forme, salons de coiffure, bowlings et boîtes de nuit. Pour qui a connu la grisaille maussade et le dénuement des villes provinciales soviétiques, cette métamorphose est spectaculaire, même si les routes restent couvertes d'ornières et de flaques de neige fondue. Des projets immobiliers poussent comme des champignons. Un luxueux centre commercial vient de s'installer dans l'une des rues principales. Le parc d'automobiles a tellement grossi que Voronej se retrouve juste après Moscou et Saint-Pétersbourg pour le nombre de voitures vendues. L'abondance jusqu'ici réservée à la métropole moscovite s'étend en province.

C'est sans doute partiellement en raison de cette sensation très nouvelle de bien-être que la grande majorité des Russes voteront ce dimanche pour l'héritier désigné de Vladimir Poutine, Dimitri Medvedev. À Voronej, qui a pourtant une réputation de ville «rouge», quelque 64 % des habitants s'apprêtent à voter pour lui, selon un sondage.

Ancien haut lieu du complexe militaro-industriel soviétique, Voronej a subi de plein fouet l'effondrement du communisme, qui a laissé sur le carreau une population ouvrière paupérisée. Un habitant sur trois y est retraité. La ville compte une importante proportion d'étudiants et de professeurs, disposant officiellement de faibles salaires. Voronej consomme, alors qu'en principe elle n'a pas d'argent. Ce paradoxe fait sourire Mark Zinovievitch Berkolaiko, un docteur en mathématiques qui s'est reconverti dans la finance dans les années 1990, pour finalement fonder une société d'investissements privée.

«Il faut en finir avec les mythes russes», dit-il. D'après lui, les statistiques officielles ne reflètent pas les revenus réels de la population. Les pauvres, et ceux qui ont juste assez d'argent pour manger et se vêtir correctement, représenteraient quelque 40 % de la population de Voronej. Les gens aisés, «ceux qui ont de bons appartements, une voiture, des portables et peuvent se payer des voyages à l'étranger» , en représenteraient de 30 à 40 % et gagneraient entre 25 000 et 50 000 roubles (de 800 à 1 600 euros), selon lui. Les 20 % restants se partageant à égalité entre «très riches» (millionnaires en dollars) et «riches» . «C'est la classe moyenne qui booste le commerce, ce dernier ne serait pas possible s'il ne s'appuyait que sur les riches» , affirme Berkolaiko. Il rappelle que le capitalisme existe depuis dix-sept ans en Russie et que beaucoup de gens ont accumulé un capital. «Nous les voyons arriver chez nous et demander à acheter un portefeuille d'actions ou investir dans l'immobilier» , raconte-t-il.

«Prometteuses»

Mark Berkolaiko parle même d'un petit frémissement du secteur productif. L'usine d'aéronautique de Voronej, après des années de crise, a «un carnet de commandes plein jusqu'en 2012» . Les perspectives seraient «prometteuses» dans le secteur spatial ou l'agriculture. «Nous devons cette stabilisation à Vladimir Poutine. Il a remplacé les oligarques et les criminels par des bureaucrates. C'est un frein énorme, mais c'est mieux», dit le financier.

Alla Tsvetkova, jeune femme entrepreneur qui fait partie d'un conseil consultatif économique auprès de la mairie, ne partage pas cet avis. Pour elle, la prospérité du commerce à Voronej est due au pouvoir d'achat des riches, et non à l'émergence d'une classe moyenne, car «25 000 roubles (800 euros), c'est très peu, vu le niveau de prix occidental !». «Ayant des revenus immenses, les riches consomment pour tous les autres», suppose-t-elle. Elle décrit des PME locales accablées par la bureaucratie et concurrencées par de grandes chaînes commerciales venues de Moscou. «J'avais des kiosques en 2001, j'ai dû les vendre. Il n'est plus rentable de dépenser autant de dessous-de-table et d'énergie à les garder», dit-elle. Elle explique qu'il est impossible de survivre dans les affaires sans «la main» du pouvoir, ce qui favorise «les gros poissons» capables de payer pour faire taire l'hydre bureaucratique. Elle voit dans l'affaiblissement des PME un grave danger de stagnation pour Voronej, car les chaînes moscovites «sont des aspirateurs» qui rapatrient leurs fonds vers Moscou. «Pour changer ce système fermé, il faudrait une vraie rupture, et Medvedev, même s'il a de bons projets, ce n'est pas la rupture» , s'inquiète Alla.

Du même avis, l'entrepreneur Alexandre Sysoev, un influent député réformateur de la Douma régionale, s'interroge sur le mécanisme par lequel le futur président pourra libérer le pays de la chape bureaucratique, pour échapper à la malédiction de la rente pétrolière. «Medvedev me plaît, je sens intuitivement en lui une liberté que je ne trouvais pas chez Poutine. Mais il n'est pas possible de considérer les gens comme des serfs quand il s'agit de se faire élire, et de vouloir en faire des citoyens pour stimuler l'économie. Il faudra choisir.»

De notre envoyée spécialeà Voronej Laure Mandeville
28/02/2008 | Mise à jour : 23:10 | Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/international/2008/02/29/01003-20080229ARTFIG00020-sous-poutine-la-province-russe-s-est-metamorphosee-.php

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