jeudi 17 avril 2008

La sécurité énergétique de l'Europe est un défi politique

Le chef de l'État estonien, Toomas Ilves, s'interroge sur cette «arrogance» des Européens qui pensent pouvoir rendre un pays démocratique contre son gré.
Le président estonien, Toomas Hendrik Ilves, a profité de sa rencontre à Paris avec Nicolas Sarkozy pour tirer les leçons du sommet de l'Otan de Bucarest et discuter de la future présidence française de l'Union européenne. Personnalité atypique qui dirigea le service estonien de Radio Free Europe avant la chute du Mur, Toomas Ilves allie un atlantisme sans complexe avec un vrai engagement européen. Il incarne la diplomatie des nouveaux pays est-européens désireux d'assumer avec vigueur les valeurs démocratiques et libérales occidentales. Toomas Ilves vient d'annoncer qu'il n'assisterait pas à la cérémonie d'ouverture des JO à Pékin.
LE FIGARO. Avez-vous parlé au président Sarkozy de votre déception de voir la France et l'Allemagne bloquer l'attribution du statut de candidat à l'adhésion à l'Otan (MAP) à Kiev et Tbilissi ?
Toomas ILVES. Voyant l'hostilité de l'UE à formuler une politique de voisinage active vis-à-vis de l'Ukraine et de la Géorgie, nous nous étions dit : alors, pourquoi pas l'Otan ? Nous savions, pour être passés par là, que le MAP représente aussi un système de «carotte et de bâton» efficace pour aider les pays en transition démocratique à mener les réformes nécessaires. Nous voyions le MAP comme un instrument. Mais à Bucarest, les pays membres ont préféré un engagement fort plus fort que le MAP ! à prendre l'Ukraine et la Géorgie dans l'Otan. Ce résultat est bon, mais il manque toujours l'instrument. Il faut donner un contenu à la politique de voisinage de l'UE. Pourquoi ne pas leur proposer un vrai accord de libre-échange ? Pourquoi ne pas leur proposer d'adopter l'acquis communautaire en échange de l'ouverture de nos marchés ? Ces pays ont choisi la démocratie libérale. Mais pour des raisons bureaucratiques souvent absurdes, nous en arrivons à faciliter les visas pour la Russie non démocratique, et pas pour la Géorgie…

Que pensez-vous de l'argument selon lequel on ne peut poursuivre si vite l'élargissement de l'Otan pour ne pas acculer la Russie ?
Récompenser un pays qui se comporte mal est une mauvaise politique. Vis-à-vis de la Russie, je préconiserais plutôt l'indifférence bienveillante qui consiste à ignorer la rhétorique agressive, à être ferme sur les droits de l'homme et surtout à perdre l'illusion que l'on peut changer quelque chose en Russie. Il faut l'arrogance des Européens pour penser qu'on peut apprendre à des peuples à être démocratiques. Mais nous avons l'obligation morale d'aider les pays qui ont choisi cette voie, comme l'Ukraine. Dire qu'on va laisser l'Ukraine ou la Géorgie en dehors de l'Otan pour qu'un pays non démocratique se sente mieux est moralement inacceptable.

Il y a un an, les relations russo-estoniennes se tendaient, en raison du déplacement de la statue d'un soldat soviétique du centre de Tallin. Quelle leçon en tirez-vous ?
Il faut réaliser que la Russie revient à une glorification mystique de l'armée rouge, en niant tous les crimes commis et en oubliant que pour nous, l'uniforme soviétique n'est pas synonyme de libération.

Qu'attendez-vous de la présidence française de l'UE ?
Nous soutenons l'engagement de la France pour la relance de l'intégration européenne. Nous constatons une grande similitude sur le dossier crucial de l'énergie. L'Estonie partage la préoccupation de la France de mettre en place une politique énergétique plus robuste et plus indépendante. La sécurité énergétique de l'UE représente un défi politique évident, quand on voit que certains pays, comme la Russie, mettent noir sur blanc sur la page Web de leur gouvernement que l'énergie est un instrument politique. L'énergie nucléaire, comme élément de plus grande indépendance, est une option. Mais ce débat n'a pas encore commencé dans mon pays.

Le Figaro
Propos recueillis par Laure Mandeville
08/04/2008 Mise à jour : 16:43

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