mardi 22 avril 2008

Poutine met la Géorgie et l'Occident sous pression

En annonçant la normalisation juridique des relations de la Russie avec les enclaves sécessionnistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, Moscou tente d'empêcher la marche vers l'Otan de Tbilissi.

Ni paix, ni guerre. Telle est l'étrange situation qui prévaut depuis près de quinze ans dans les enclaves séparatistes abkhaze et ossète du Sud de Géorgie, ces deux conflits gelés dont seule la Russie a la clé. Dimanche, les forces armées de la région séparatiste d'Abkhazie affirmaient par exemple avoir abattu un avion espion géorgien sans pilote au-dessus du district de Gali (est de l'Abkhazie), tandis que les autorités géorgiennes reconnaissaient l'existence de l'incident mais démentaient que le drone leur appartenait.

Comme les précédentes escarmouches, cette poussée de fièvre abkhaze, loin d'être anodine, coïncide avec les nouvelles manœuvres diplomatiques de Moscou sur le front du Caucase du Sud. Créant un dangereux précédent dans l'histoire récente du «triangle» Géorgie-républiques sécessionnistes-Russie, le président Poutine a annoncé mercredi dernier que son pays allait désormais «coopérer» avec les gouvernements séparatistes ossète du Sud et abkhaze en y établissant des représentations équivalant à de semi-ambassades. Le 6 mars 2008, la Russie s'était déjà retirée du traité de 1996 qui interdit toute aide militaire à l'Abkhazie. La décision russe est «un nouveau pas extrêmement dangereux vers l'annexion de facto de parties intégrantes du territoire de la Géorgie», a réagi Tbilissi, qui a fait de la réintégration des enclaves sécessionnistes (un tiers du territoire national) le principal objectif de sa politique.

Depuis le début du conflit en 1992, le soutien de la Russie aux républiques sécessionnistes abkhaze et ossète du Sud n'est un secret pour personne, même si l'irrédentisme des peuples concernés doit aussi beaucoup à la politique très nationaliste de l'ex-président géorgien Zviad Gamsakhourdia. Ce fut l'armée russe qui organisa les guerres de sécession de 1993, dans le but évident de forcer la Géorgie à rejoindre la Communauté des États indépendants formée autour de la Russie. Ne pouvant se résoudre à la perte du petit État géorgien, le Kremlin n'a cessé d'utiliser ces conflits «gelés» comme des leviers, pour empêcher la Géorgie de quitter son orbite.

Ainsi les deux enclaves ne doivent-elles leur survie économique qu'à l'aide substantielle de Moscou, qui y a mené une très active politique de distribution de passeports russes. Une grande partie de la population d'Abkhazie et d'Ossétie du sud, où les posters de Poutine sont très présents, a voté lors des élections russes.

L'ombre du Kosovo

Mais la décision du Kremlin de passer ce printemps d'un soutien informel à un cadre de relations plus officiel traduit une vraie surenchère côté russe. Ce durcissement est la suite logique de deux événements qui ont été perçus par Moscou comme de véritables gifles géopolitiques : l'indépendance du Kosovo et le récent sommet de Bucarest, qui a approuvé la future adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'Otan.

Face à ce qu'elle perçoit comme un encerclement occidental, la Russie a voulu mettre en garde ses anciens petits frères. Ce qui n'a pas empêché Vladimir Poutine d'annoncer vendredi sa volonté de «normaliser» ses relations économiques et politiques avec Tbilissi, totalement gelées depuis deux ans. La Russie devrait prochainement rétablir les liaisons postales, les restrictions en vigueur sur la délivrance de visas russes aux Géorgiens et les interdits qui pesaient sur l'accès des produits géorgiens au marché russe. Cette tactique est vieille comme le monde. D'un côté la carotte de l'économie. De l'autre le bâton des conflits gelés. Une politique semblable est d'ailleurs en cours en Ukraine, où le Kremlin agite les populations pro russes de Crimée.

Face à cette nouvelle démonstration de force russe, les Géorgiens ne cachent ni leur colère ni leur grande inquiétude. «La Russie essaye d'annexer un tiers du territoire de la Géorgie et propose d'améliorer ses relations avec les deux tiers restants», a ironisé le chef de la diplomatie géorgienne David Bakradze, jugeant les propositions russes de coopération «vides de sens». La Géorgie est pleinement soutenue par l'Union européenne et l'Otan, qui ont appelé la Russie à renoncer à sa décision de renforcer ses liens avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. «Très inquiète», la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice a téléphoné au ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov pour lui transmettre le même message d'apaisement. Mais il est vrai que sur fond d'indépendance kosovare, la dialectique occidentale est plus difficile à défendre. Russie et Occident n'ont pas fini de s'affronter sur la question cruciale et délicate de l'avenir des ex-républiques soviétiques.

Le Figaro
Laure Mandeville
21/04/2008 | Mise à jour : 10:57 |

http://www.lefigaro.fr/international/2008/04/21/01003-20080421ARTFIG00398-poutine-met-la-georgie-et-l-occident-sous-pression.php

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