mercredi 30 avril 2008

La France regarde vers l'Est et plaide pour l'Ukraine en Europe

Rencontre, en mars 2007, entre le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et l'ancien premier ministre ukrainien, Viktor Yanukovich, aujourd'hui remplacé par Ioulia Timochenko.
AFP/JOHN THYS

A l'approche de la présidence française de l'Union européenne (UE), l'équipe de Nicolas Sarkozy a lancé une initiative diplomatique pour l'Ukraine. Paris courtise parallèlement les pays d'Europe centrale et orientale, auxquels il a proposé des "partenariats stratégiques".

Alors que la diplomatie de Jacques Chirac avait tendance à négliger – parfois avec une pointe de mépris – les pays de l'Est européen, et à freiner tout rapprochement de l'Ukraine avec l'UE par souci de ménager la relation avec la Russie, une approche nouvelle a été décidée.

Les responsables français ont récemment transmis aux pays membres de l'UE et aux dirigeants ukrainiens un document ("non-papier") contenant une série de propositions visant à renforcer le partenariat entre l'Ukraine et l'UE. Il s'agit de "faire passer à un niveau nouveau la politique de voisinage" que Bruxelles a mise en place, explique-t-on de source française. A l'occasion du sommet UE-Ukraine prévu en septembre à Paris, M. Sarkozy voudrait pouvoir afficher des résultats dans ce sens.

L'initiative est saluée en particulier par la Pologne, qui plaide depuis longtemps pour qu'une perspective européenne soit offerte à l'Ukraine. Les Polonais ont en outre fait passer le message qu'il leur serait plus facile d'accepter le projet français d'Union de la Méditerranée si l'Europe faisait, par ailleurs, un geste envers ses voisins de l'Est : pour eux, l'axe "méridional" de la politique européenne ne doit pas se faire au détriment de l'axe "oriental". Varsovie a d'ailleurs dans ses cartons un projet équivalent à l'Union de la Méditerranée, mais en direction des voisins orientaux de l'UE...

L'activisme français au profit de l'Ukraine satisfait les pays d'Europe centrale, tout en étant accueilli avec scepticisme par d'autres partenaires, comme les Pays-Bas, rétifs à toute notion d'élargissement ultérieur de l'UE. Les partisans en Europe d'une adhésion turque se demandent si l'équipe de M. Sarkozy ne cherche pas à enfoncer un clou, en démontrant à quel point les Ukrainiens, contrairement aux Turcs, ont une légitimité européenne.

A Bruxelles, certains s'interrogent : "La France est saisie d'un amour soudain pour l'Ukraine, alors que d'autres dossiers sont plus brûlants pour l'Europe : les relations avec la Serbie, les Balkans, et la nécessité d'avoir une politique avec la Russie." Moscou a déjà fait connaître son hostilité à la démarche française visant à arrimer l'Ukraine à l'Europe. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles la tentative de l'Elysée n'a fait l'objet d'aucune annonce publique.

Paris avance avec une certaine précaution. La diplomatie française reste en deçà des souhaits exprimés par Kiev : elle ne prône pas explicitement, dans le document qu'elle a fait circuler, l'idée que l'Ukraine soit amenée un jour à devenir membre de l'UE. "Mais on ne dit plus que la porte est fermée. Elle est entrouverte. Rien n'est exclu pour l'Ukraine, et c'est une nouveauté", commente-t-on côté français. "Après avoir longtemps été réticente, la France dépasse maintenant les plus fervents défenseurs de l'Ukraine que sont les Polonais ou les Autrichiens !"

Le geste envers Kiev est d'autant plus marquant que, lors du récent sommet de l'OTAN à Bucarest, la France était en phase avec l'Allemagne, qui s'opposait à l'inclusion de Kiev dans le "plan d'action pour l'adhésion". Mais la nouvelle politique est-européenne répond à une volonté de M. Sarkozy de se montrer attentif aux dirigeants ukrainiens pro-occidentaux issus de la "révolution orange" de 2004, qu'il a rencontrés à plusieurs reprises.

Elle traduit aussi le souci constant du président français, depuis son élection, de réparer les dégâts causés par la crise de 2003 entre M. Chirac et un certain nombre de capitales d'Europe orientale qui avaient exprimé leurs vues atlantistes et leur soutien à Washington à propos de l'Irak. L'ambiance a assurément changé. L'appui de la Pologne a ainsi été sollicité - et obtenu - par Paris en 2007 pour l'opération militaire de l'Eufor au Tchad, par exemple.

Le réchauffement des relations avec la "nouvelle Europe" doit être symboliquement scellé par la signature de "partenariats stratégiques" bilatéraux entre la France et sept de ces pays. Celui avec la Roumanie a déjà été conclu lors de la visite de M. Sarkozy à Bucarest en février. En mai et en juin, d'autres doivent suivre, avec la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Bulgarie et la Lituanie. Le secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, a été chargé de les préparer.

Il s'agit, dit-on à Paris, de marquer "le retour de la France dans ces pays". Comme pour l'Ukraine, Paris veut signifier que l'Europe orientale et son potentiel ne doivent pas être "laissés" à l'Allemagne et aux pays nordiques. Les Français cherchent aussi à rallier le plus de soutiens possibles aux priorités de leur présidence de l'UE, comme la promotion d'une Europe de la défense.

Natalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 30.04.08.
Le Monde
http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/04/29/la-france-regarde-vers-l-est-et-plaide-pour-l-ukraine-en-europe_1039655_3214.html?xtor=RSS-3210

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