samedi 26 avril 2008

La vie culturelle s'épanouit à Moscou sur un terreau d'autocensure

Y a-t-il une censure sur la production artistique en Russie ? A Moscou, la question fait sourire. "Impossible à l'heure actuelle de contrôler ce qui se fait en matière de théâtre, de littérature ou de peinture", affirme le metteur en scène de théâtre Ivan Popovski. Si la libre expression est palpable, c'est bien dans l'art. Pourtant, entre autocensure et initiatives plus insidieuses, une retenue continue de marquer la vie culturelle russe.

Reste que, comme le faisait remarquer Mikhaïl Chvydkoï, le directeur de l'Agence fédérale pour la culture : "A l'époque de l'URSS, il était plus intéressant de lire que de vivre, aujourd'hui, visiblement c'est le contraire." Il est donc devenu plus intéressant de vivre et de sortir, au théâtre par exemple, le péché mignon des Russes.
Rien qu'à Moscou, 165 salles (contre 40 il y a vingt ans) fonctionnent et proposent une affiche variée. Contrairement aux années soviétiques, il n'est pas question de censure. Une page a été tournée. La preuve, le Masque d'or 2008, qui récompense le meilleur spectacle théâtral, vient d'être attribué à Lev Dodine pour son adaptation de Vie et destin, le roman de Vassili Grossman.
Confisquée par le KGB (police politique) en 1961, cette oeuvre, une plongée dans l'univers totalitaire, évoque le "grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz". Jugé subversif, le roman a attendu près de trente ans pour être publié en Russie. Rares sont les Russes qui l'ont lu, c'est pourquoi Lev Dodine l'a choisi. Après la première à Bobigny, la pièce a été montrée à Norilsk, haut lieu du goulag stalinien en Sibérie. Elle a été ovationnée par le public. Mais "il y avait aussi des yeux baissés, des visages sombres", a expliqué Lev Dodine à la revue Ogoniok en mars 2007. Selon lui, "les Russes ne veulent pas connaître leur histoire. Ils préfèrent la déformer de peur d'y trouver quelque chose de mal, sans doute parce qu'ils sont issus de ce système, lequel est resté en eux".
L'URSS a disparu, la censure n'est plus. Et pourtant, des initiatives individuelles tentent de l'imposer à nouveau. Andreï Erofeev, qui dirige le département d'art contemporain à la galerie Tretiakov à Moscou, en sait quelque chose. Pour avoir exposé en mars 2007 au Musée Sakharov des oeuvres censurées, il est poursuivi en justice par un groupe de patriotes orthodoxes et a été prié par sa hiérarchie de ne plus rien organiser. Son exposition, "Entrevoir l'interdit", a déclenché de fortes réactions de rejet.

AUCUNE CONSIGNE

Elle comportait des oeuvres du Sots Art, un mouvement artistique non conformiste. A l'automne 2007, une exposition de ces artistes était prévue à la Maison rouge, à Paris. Alors qu'une oeuvre était en train d'être emballée, Irina Lebedeva, la directrice adjointe de la Galerie Tretiakov, a manqué s'évanouir à sa vue.
Il s'agissait d'une installation lumineuse du collectif PG Group représentant la place Rouge et le Kremlin envahis par des hordes de Chinois. Installés dans le bureau du chef de l'Etat - pendu par les pieds -, les envahisseurs y sont occupés à déguster le chien présidentiel et à violer la secrétaire. Décrite comme "une honte pour la Russie", cette oeuvre et d'autres ont été retirées du chargement vers Paris. Les photographies du collectif Les Nez bleus, jugées "pornographiques", ont elles aussi été censurées.
Le plus étonnant est qu'aucune consigne de censure n'est venue du sommet de l'Etat. L'initiative est venue de quelques individus, "une forme d'autocensure", précise Andreï. Ce genre d'initiative, impensable il y a dix ans, est encouragé par le discours officiel. Dominé par les notions de "patriotisme" et de repli sur soi, celui-ci ne laisse aucune place à la tolérance ou à l'altérité.
Natalia Milovzorova, de la galerie Guelman à Moscou, se heurte aussi à la censure. Elle raconte comment les douanes s'opposent de plus en plus souvent à l'exportation de certaines oeuvres sous prétexte qu'elles portent atteinte au prestige de la Russie. Une série de photographies des Nez bleus, représentant des croix orthodoxes fabriquées avec des morceaux de pain noir et de saucisson, a été récemment bloquée par la douane. "Depuis, les photos sont envoyées par disquettes, c'est plus simple", résume Natalia Milovzorova.
Le cinéma est lui aussi concerné. Le dernier film du cinéaste polonais Andrzej Wajda, Katyn, qui relate le massacre de 4 420officiers polonais par le NKVD (l'ancêtre du KGB) près de Smolensk en 1940, a ainsi été montré à Moscou deux fois seulement, lors de projections organisées "sur invitation".
Il est vrai que, pour des générations de Russes, les officiers polonais exécutés sur le territoire de l'URSS (22 000 en tout) l'ont été par l'armée d'Hitler. Cette version des faits a prévalu pendant toute la période soviétique. La responsabilité du NKVD n'a été révélée qu'en 1992, quand Boris Eltsine a remis à la Pologne les archives sur ces massacres. Au moment où la version officielle soviétique tend à refaire surface, il n'était pas question de montrer à un large public le film de Wajda, qui dit tout le contraire.

Marie Jégo

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Y'a enormément de censure la bas, merci au président!