mercredi 21 mai 2008

La Russie s'invite dans les législatives géorgiennes

Un homme colle une affiche électorale, à Tbilissi, en préparation des élections législatives du 21 mai en Géorgie.

En quête d'un soutien international accru, la Géorgie élit, mercredi 21 mai, son Parlement, sur fond de tensions avec la Russie au sujet de la région séparatiste d'Abkhazie. Le scrutin aura valeur de test pour ce petit Etat ex-soviétique de 4,7 millions d'habitants, qui aspire à rejoindre l'OTAN et à se rapprocher de l'Union européenne. Il est important pour le président Mikheïl Saakachvili, dont l'image a été ternie par sa gestion musclée de la crise avec l'opposition en novembre 2007, quand des manifestations avaient été réprimées, une chaîne d'opposition fermée et l'état d'urgence instauré.

Le président a promis que ces élections "seront les plus démocratiques que le pays ait jamais connues", pas tant "pour plaire à l'Occident" qu'au nom de "l'avenir de la Géorgie". De la Ligue des sportifs au Parti des femmes, en passant par le Conseil uni de l'opposition (une coalition de neuf partis), douze formations sont en lice. Une nouvelle venue, le Parti démocrate chrétien, veut défendre la "chrétienté orthodoxe géorgienne" et estime que l'adhésion à l'OTAN "n'est pas une fin en soi". Dirigé par Guiorgui Targamadze, l'ancien présentateur vedette de la chaîne privée Imedi fermée par le pouvoir en novembre 2007, il est crédité de 11 % à 14 % des voix. A Tbilissi, la ferveur religieuse est palpable dans la rue, où nombre de passants se signent à la vue d'une église ou face à la statue de saint Georges.

Crédité de 33 % à 43 %, le parti du président, le Mouvement national uni, est assuré de remporter la majorité. Pas étonnant, explique l'opposition, qui dénonce les pressions exercées par l'administration sur ses candidats. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) l'a admis. "Dans les campagnes où le chômage est important, les employés du secteur public sont menacés de perdre leur emploi s'ils ne votent pas selon les consignes", déplore Salomé Zourabichvili, ex-ministre des affaires étrangères passée à l'opposition.

Soucieux de recevoir le satisfecit de la communauté euro-atlantique, le président Saakachvili a donné des "consignes fortes" aux administrations locales pour qu'elles n'interfèrent pas dans le vote. Un comité chargé de centraliser les plaintes a été créé. "Il est vital pour la Géorgie que les élections soient réellement libres et justes (...). Nous devons montrer au monde que nous sommes un pays démocratique", a expliqué David Bakradze, ancien ministre des affaires étrangères et tête de liste du parti présidentiel. Mais d'ores et déjà, le Conseil uni a enjoint ses partisans à se rassembler à Tbilissi mercredi soir pour contraindre le pouvoir à "donner les vrais résultats".

Les relations avec la Russie - tendues à l'extrême depuis que Moscou a décidé, le 16 avril, de renforcer ses liens économiques avec les territoires séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud - se sont imposées comme thème de campagne. La destruction de drones géorgiens qui survolaient l'Abkhazie, puis l'envoi par Moscou de 450 parachutistes dans la région séparatiste - officiellement membres des forces de maintien de la paix - ont ravivé les craintes. Le président a même évoqué le risque d'une "guerre".

"UNE QUESTION DE VALEURS"

L'opposition joue la carte de la normalisation des relations avec le voisin du Nord. "Mikheïl Saakachvili a utilisé la crise avec la Russie pour montrer son patriotisme", critique David Usupachvili, président du Parti républicain. "Pour régler le problème avec l'Abkhazie, il faut parler aux Abkhazes, après on peut imaginer faire quelque chose. Au lieu de cela, on jette des projets en l'air, tout se fait sans préparation", regrette-t-il.

Pour le président Saakachvili, qui a reçu la presse étrangère, lundi, dans le restaurant d'un village de Kakhétie, à l'est du pays, les choses ne sont pas si simples. "Nous n'avons pas vraiment les moyens d'entrer en contact direct avec les autorités abkhazes", dit-il, car ces dernières "suivent les consignes de Moscou". La Russie maintient des militaires sur place, distribue des passeports de la Fédération à la population abkhaze, intervient comme médiateur et comme partie prenante. Loin d'être apaisé, le conflit, larvé depuis quatorze ans, a toutes les chances de refaire surface. Quelque 300 000 réfugiés géorgiens d'Abkhazie, chassés manu militari en 1993, ne pensent qu'au retour.

Selon le président géorgien, la décision de ne pas donner le MAP (plan d'action en vue de l'adhésion à l'OTAN) à la Géorgie et à l'Ukraine, lors du sommet de l'Alliance à Bucarest à la mi-avril, a été interprétée par Moscou comme une carte blanche pour agir dans son espace d'influence post-soviétique. "Il ne s'agit pas seulement de la Géorgie mais aussi de l'Ukraine. Voyez les déclarations de Iouri Loujkov (le maire de Moscou qui a déclaré récemment que l'Ukraine devait rendre Sébastopol à la Russie). L'Ukraine ne peut réagir à cela ; elle n'en a pas les moyens." Pour le pouvoir, lassé de son tête-à-tête avec la Russie, il devient urgent de modifier le format des négociations sur l'Abkhazie. L'Union européenne et l'OSCE doivent s'impliquer davantage. "C'est avant tout une question de valeurs", insiste le président géorgien.

Marie Jégo
LE MONDE | 20.05.08 | 14h44 • Mis à jour le 20.05.08 | 14h44
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