jeudi 29 mai 2008

L'ambassadrice de la «démocratie» russe

Pasionaria du nouveau nationalisme à la russe, redoutable dialecticienne, l'historienne Natalia Narotnitcheskaïa, ancienne députée du parti nationaliste russe Rodina, arrive à Paris pour y fonder l'Institut de la démocratie. Comme son frère jumeau, tout juste créé à New York, cet Institut se veut la réponse d'une Russie exaspérée par les accusations d'autoritarisme que l'Occident profère contre le régime politique peu démocratique de Vladimir Poutine et de son successeur, Dmitri Medvedev.

C'est un émissaire politique et intellectuel bien singulier que Moscou envoie prendre ses quartiers à Paris. L'ancienne députée de la fraction du parti nationaliste Rodina, Natalia Narotnitcheskaïa, cheveux roux brun, teint pâle, yeux verts en amande, lèvres minces, dialectique redoutable, n'a pas été réélue lors des législatives russes de décembre, son parti d'attache ne comptant plus parmi les «favoris» du Kremlin. Mais cette pasionaria du nouveau nationalisme à la russe, grande adepte du complot occidental qui viserait à isoler la Russie, semble avoir obtenu un «prix de consolation». Elle arrive en France avec pour mission d'y fonder un Institut de la démocratie censé explorer les problèmes que le système démocratique rencontre… en Europe occidentale ! Une sorte de réponse du berger russe à la bergère occidentale, qui n'est pas sans rappeler, dans la démarche, certains vieux films d'actualités soviétiques : pour démontrer que le socialisme réel n'était pas seul à générer d'interminables files d'attente, ils s'attardaient sur les queues dominicaines devant le magasin Poilâne à Paris.

Vladimir Poutine avait été le premier à évoquer la création de cet Institut, lors d'un sommet Russie-UE à Lisbonne, en octobre. Fustigeant les Occidentaux, donneurs de leçons, il avait estimé que l'Europe ferait mieux de se pencher sur ses problèmes de minorités et de démocratie plutôt que d'envoyer des observateurs juger les élections russes. Rompant avec les années 1990 quand les autorités russes érigeaient la démocratie occidentale en compas des réformes , Poutine avait ajouté que la Russie pourrait bien s'intéresser désormais à cette thématique des droits de l'homme à l'Ouest. Venant d'un gouvernant qui, en huit ans de présidence, a verrouillé les contre-pouvoirs et les libertés, l'initiative ne manquait pas de toupet.

Fine mouche, Natalia Narotnitcheskaïa se garde bien de revendiquer ce label poutinien. «Contrairement à ce que colporte la rumeur journalistique, je ne suis pas l'envoyée du Kremlin ni de Poutine,et je ne bénéficie d'aucune manne financière miraculeuse», se défend-elle, évoquant vaguement la «fondation regroupant quinze ONG russes» qui la financera. Elle précise qu'elle a dû payer elle-même ses trois premiers voyages à Paris, où elle compte passer une semaine par mois. L'équipe des permanents de l'Institut sera d'ailleurs très réduite. Elle comprendra notamment l'un des amis britanniques de Natalia Narotnitcheskaïa, rencontré «à Belgrade, pendant les bombardements de l'Otan sur la Serbie en 1999». «Cela crée des liens forts», explique cette intellectuelle qui, sur son blog, fustige le diktat de l'Amérique, rend hommage au rôle de Milosevic dans les Balkans et «s'inquiète de la perte de souveraineté de l'Europe». Un sourire ironique aux lèvres, Natalia Narotnitcheskaïa, qui parle bien français, assure pourtant qu'elle n'est pas venue pour donner des leçons de démocratie à la France, «cette si vieille démocratie, qui a vu la Révolution, Robespierre, la Terreur…», ajoute-t-elle, un rien perfide.

Son rôle se limitera «à lancer un débat», qu'elle espère fructueux, sur les différentes conceptions de la démocratie. Une sorte d'enceinte à théoriser la notion de «démocratie souveraine» si chère à Poutine.

Pour entrer dans le vif du sujet, et situer d'emblée son propos dans les hautes sphères de l'histoire et de la géopolitique, Natalia Narotnitcheskaïa a fait coïncider son arrivée à Paris avec la publication d'un livre (*) qui devrait faire du bruit. Sous le titre émotionnel, Que reste-t-il de notre victoire, l'ouvrage s'attache à démontrer que les grandes puissances occidentales s'acharnent aujourd'hui à discréditer la victoire soviétique de 1945 pour mieux tenter d'exclure la Russie du concert des nations. Gommant avec une mauvaise foi presque révisionniste la nature fondamentalement agressive du communisme totalitaire, dont elle ne dit mot, passant allègrement sur le fait que l'URSS a établi des régimes d'occupation à travers toute l'Europe de l'Est après 1945, Narotnitcheskaïa s'attache à replacer la «mise à l'écart géopolitique de la Russie» dans un contexte historique plus ancien, remontant au cordon sanitaire organisé par Rome contre Byzance et son héritier, Moscou, puis par les grandes puissances européennes au XIXe siècle contre le géant «semi-asiatique» russe. «Si vous consultez, dans les archives, les cartes de l'Allemagne pangermaniste, comme je l'ai fait, vous verrez qu'elles collent exactement avec celle de l'élargissement de l'Otan vers l'Est», insiste-t-elle, exprimant la paranoïa obsidionale de l'élite poutinienne. Et oubliant que le désir d'Occident des Baltes, ou même de l'Ukraine, n'a rien à voir avec un complot géopolitique. Natalia Narotnitcheskaïa, qui est d'autant plus intéressante parce qu'elle exprime l'idéologie dominante en Russie, ne cache pas qu'elle est nationaliste, slavophile et orthodoxe. Elle veut se situer «hors des paradigmes de l'Occident», qui, sous l'influence des marxistes et des libéraux, ont «la haine de la nation». Sa définition des ennemis de la nation russe est plus gênante. Car la politicienne et historienne désigne avant tout les historiens et politiciens libéraux de la période gorbatchévienne et eltsinienne, qui, en se lançant dans la mise au jour des crimes du communisme, n'ont pu s'empêcher, dit-elle, «de hurler sur les tombes de leurs pères». Elle s'étonne que l'Occident dénonce les droits de l'homme sous Poutine, alors qu'il «applaudissait au bombardement du Parlement russe par Eltsine». «Je veux attirer votre attention sur toutes ces pseudo-ONG qui se sont attribué un rôle de juge politique, et qui font leurs rapports sur la démocratie russe en interrogeant des marginaux», dit-elle. On l'a compris. Madame Narotnitcheskaïa va s'employer à leur donner la réplique.

* Éditions des Syrtes, 2008.

Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/international/2008/05/29/01003-20080529ARTFIG00005-ambassadrice-de-la-democratie-russe.php

Laure Mandeville
28/05/2008 | Mise à jour : 21:46 |


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