mercredi 21 mai 2008

Un boxeur affronte un banquier excentrique pour gagner la ville de Kiev

En saison électorale, les tentes poussent sur les artères de Kiev, comme si on rejouait sans fin la "révolution orange" de l'hiver 2004-2005 ; des étudiants rémunérés distribuent des tracts aux couleurs de leur candidat. Cette fois, le scrutin est local, mais l'enjeu national. L'élection municipale du 25 mai confirmera ou perturbera la marche en avant du premier ministre, Ioulia Timochenko, vainqueur des législatives en septembre 2007. Son candidat, le premier vice-premier ministre Alexandre Tourtchinov, est toutefois donné perdant. Il pâtit d'un manque de charisme et des difficultés économiques.

Mais le scrutin - qui désignera le maire et les 120 membres de l'assemblée municipale - passionne les Ukrainiens en raison du profil des candidats. Le favori est le maire sortant, Leonid Tchernovietski, qui pourrait profiter de l'émiettement des candidatures (près de 70). Elu il y a deux ans, cet ancien banquier excentrique était dans le collimateur de Mme Timochenko, qui voulait ces élections anticipées. Connu pour ses déclarations outrancières, il est arrivé en tête du classement des "ennemis de la presse 2007", établi par le syndicat indépendant des médias de Kiev (KNMP), à cause de ses pressions sur les rédactions locales.

Depuis deux ans, Leonid Tchernovietski - surnommé "Leonia Cosmos" pour ses extravagances - a développé une politique à fort accent populiste. Tout en favorisant l'attribution de terrains à des hommes d'affaires amis, il a mis en place des programmes d'aide aux démunis, ouvert des foyers pour sans-domicile et octroyé des compléments de salaires aux enseignants et aux médecins.

"Les retraités de plus de 60 ans, en particulier les femmes, constituent la base de son électorat, explique le sociologue Andreï Bytchenko, de la fondation Razumkov. Ils ne croient pas que les hausses de leur pension auraient lieu avec un autre maire." Ces électeurs ont le sentiment d'être compris lorsque M. Tchernovietski tonne que, si l'inflation se poursuit au rythme actuel (près de 30 % en un an), "nous allons revenir au Holodomor", la grande famine de 1932-1933. Le maire ne fait pas que parler, il agit. Le 20 avril, il a signé un arrêté autorisant les habitants à utiliser gratuitement les toilettes des restaurants...

"LE POING DE FER"

Face à lui se dresse un ancien champion du monde de boxe. Vitali Klitchko, 36 ans, a connu un remarquable parcours en catégorie poids lourds (35 victoires, 2 défaites), de même que son frère cadet Vladimir, 32 ans (50 victoires, 3 défaites). Fils d'un colonel de l'armée de l'air soviétique, Vitali a commencé sa carrière en 1996, gagnant le surnom d'Iron Fist ("le poing de fer"). Champion du monde des poids lourds WBC, il s'est retiré sur blessures en 2005. Son frère a enrichi le palmarès familial. Le 23 février, à New York, Vladimir est devenu champion du monde des poids lourds IBF/WBO.

Les deux frères, très proches, ont lancé une ligne de vêtements. Mais le grand défi de Vitali Klitchko consiste à transformer sa popularité en victoire politique. Sa reconversion a commencé sous la bannière orange par une défaite aux municipales de Kiev en 2006. Confronté une nouvelle fois au maire sortant, avec l'appui d'hommes d'affaires, il dispose d'un invité de dernière minute dans son coin : l'ancien maire de New York, Rudolph Giuliani.

Défait dans les primaires républicaines américaines, le patron de la société Giuliani Partners a rencontré l'ex-boxeur au mois d'avril. "Nous avons eu de longues discussions pour savoir de quelle façon nous pourrions être utiles sur des sujets tels que la lutte contre la corruption, ou encore la façon de transformer la gestion de la ville en processus plus honnête et transparent", a expliqué M. Giuliani, après son arrivée à Kiev le 12 mai.

L'impact de ce soutien n'est guère décisif, selon les spécialistes. "En Ukraine, les Américains n'ont pas beaucoup de succès comme conseillers", s'amuse le politologue Vadim Karassev, proche du président Viktor Iouchtchenko, en faisant référence à l'implication aux législatives de Paul Manafort, stratège républicain, en faveur du Parti des régions, classé prorusse. "Seuls les représentants des élites connaissent Giuliani, dit Kost Bondarenko, directeur de l'Institut Gorshenin des problèmes de management politique. En plus, il a cité des enjeux, comme la corruption, qui ne sont pas prioritaires ici. Ce qui préoccupe les gens, c'est la circulation automobile, les problèmes écologiques, les constructions immobilières sauvages."

La dernière campagne d'affichage de Vitali Klitchko avait pour slogan : "Kiev a besoin d'un maire fort." En écho, le candidat de Ioulia Timochenko a répondu : "Kiev a besoin d'un maire intelligent." Une façon peu délicate de renvoyer dans les cordes le boxeur et ses 2 mètres de muscles.

Piotr Smolar

Aucun commentaire: