mercredi 8 août 2007

Lumumba : 40 ans d’amitié entre les peuples ?

Créée en 1960 pour promouvoir le soviétisme à travers le monde, l’université Lumumba a traversé une grave crise après la disparition de l’URSS. Aujourd’hui, elle souhaite renouer avec sa grandeur passée et devenir un vecteur du rayonnement international de la Russie.

A la sortie des cours, de jeunes Africains discutent avec des Chinois entre un groupe d’Afghanes voilées et des Péruviens rieurs. Vision insolite en Russie, même à Moscou où le mélange de cultures – aussi lointaines - demeure rarissime. L’université de l’Amitié entre les Peuples ou université Lumumba est décidément unique. Unique naturellement par son cosmopolitisme : issus de plus de 100 pays, les étrangers y représentent plus de 60% des effectifs. A ceux-ci s’ajoutent près de 30.000 anciens formés depuis 1960, éparpillés à travers le monde et travaillant dans tous les secteurs d’activité. Un heureux lauréat, José Dos Santos, est devenu président de l’Angola et feu le roi du Népal a passé une bonne partie de sa jeunesse à Moscou. Mais l’unicité de l’université Lumumba tient aussi à son histoire agitée. Pour aucune autre université soviétique, la fin de l’URSS n’a signifié un tel bouleversement. Instrument de propagation du communisme et de l’influence soviétique dans le monde pendant plus de trente ans, l’établissement est devenu du jour au lendemain un outil obsolète à l’image déplorable et à l’avenir financier incertain. Onze ans après la dislocation de l’URSS, l’université Lumumba semble pourtant retrouver un peu de son lustre. Symboliquement au moins, elle revient au cœur des débats qui agitent la “grande” histoire russe: le choix de l’ouverture vers l’étranger et les étrangers ou celui de l’enfermement, la volonté de miser sur l’éducation publique ou de privatiser l’enseignement, celle de retrouver une puissance à vocation mondiale ou de réduire ses prétentions.Une ville dans la villeSituée au sud-ouest de Moscou, l’université constitue une enclave, une ville à part au sein de la capitale. Ses bâtiments s’alignent le long d’une ligne fonctionnelle, axe central long de plus d’un kilomètre, aboutissant à une polyclinique flambant neuve qui tranche fermement avec la décrépitude alentour. D’un côté, les treize immeubles successifs des résidences universitaires, à la grisaille et au délabrement tout soviétique. De l’autre, les bâtiments administratifs et les facultés, dont l’état de conservation n’est guère plus reluisant. Comme sur les campus américains, nul besoin de sortir: pas moins de 14 cafés-bars, des restaurants indien, chinois, arabe, une discothèque, un club de billard, un cinéma, un grand complexe sportif et une multitude de magasins vendant des produits africains, asiatiques, sud-américains… et russes. Le monde est dans l’université et l’université est un monde. Devant le bâtiment central du campus (le krest), se dresse un étrange monument : une colonne avec à son faîte, une sculpture symbolisant les différents peuples terrestres s’unissant pour porter le globe. Sur ses bords, un appel à la paix mondiale a été rédigé en quatre langues, relique d’un passé pas si lointain.Un projet de coopération avec le Tiers-mondeDès sa création, le 5 février 1960, l’université Lumumba a été présentée par la propagande communiste comme une clef de voûte du mouvement pacifiste international. En encourageant la pratique du russe chez les étrangers et celle des langues étrangères chez les Soviétiques, elle devait encourager un “mélange des peuples et des cultures, gage de paix et de fraternité”. Même si les pays occidentaux ont toujours accueilli plus d’étudiants étrangers que l’URSS, la propagande efficace du PCUS et l’implication personnelle de Khrouchtchev donnèrent une aura singulière à la nouvelle université moscovite créée spécifiquement pour accueillir les futures élites du Tiers-Monde. Bénéficiant de bourses d’études et de diverses facilités offertes par Moscou (visas, billets d’avion gratuits), les jeunes “cadres de l’intelligentsia des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine” pouvaient accéder à des formations de haut niveau dans toutes les disciplines, des sciences humaines aux techniques agraires en passant par la médecine.Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la générosité soviétique, néanmoins, n’était pas exempte d’arrière-pensées. L’université remplissait également une mission politique : diffuser l’influence communiste au sein du mouvement tiers-mondiste et dans les pays récemment décolonisés. Les enseignants devaient former le futur noyau de l’activité pro-soviétique dans les pays sous-développés. En d’autres termes, il s’agissait de lutter contre l’impérialisme et de canaliser la Révolution mondiale - inéluctable selon l’idéologie marxiste-léniniste - en contrôlant son cours grâce à des révolutionnaires aguerris et disciplinés.Un centre de formation à la RévolutionConçue comme un instrument politique à part entière, l’université Lumumba a entretenu dès sa création des relations étroites avec l’appareil de sécurité soviétique. Son premier vice-recteur, Pavel Erzine, était major général au K.G.B. Et nombre de ses professeurs avaient derrière eux une longue carrière dans les services de renseignement. Evidemment, il n’y avait pas de cours ni de faculté de propagande, mais toutes les filières comportaient des cours de marxisme-léninisme et d’histoire du Parti communiste soviétique. Les enseignants réunissaient les étudiants prometteurs par nationalités “proches”, et les incitaient à réfléchir sur la misère du monde et les atteintes aux libertés dans leurs pays d’origine. Ces étudiants sélectionnés convenaient vite avec “leurs professeurs” que la seule manière d’éradiquer ces phénomènes était de suivre l’exemple tracé par Lénine et d’organiser au plus vite une révolution. Certains se montrèrent particulièrement avides de passer de la théorie à la pratique. En 1972, le contre-espionnage mexicain déjoua ainsi une tentative de coup d’Etat menée par d’anciens étudiants de l’université Lumumba. Le terroriste Carlos, ancien étudiant de l’université, se montra également digne de ses professeurs. Durant la fin des années 70 et les années 80, la sélection et la préparation de ces volontaires pour la Révolution, recrutés dans les centres de langue russe ou dans d’autres organismes pro-soviétiques, devint moins prioritaire. Mais l’université n’en continua pas moins à jouer un rôle de diffusion de la science et de la technologie soviétique, contribuant par ce biais au rayonnement international du bloc de l’Est.Après la disparition de l’URSS: l’Université en criseIl va sans dire que la fin de l’URSS a constitué une rupture brutale, profonde et douloureuse pour le petit monde de l’université Lumumba. Les professeurs ont cessé d’être payés régulièrement et leur niveau de vie a chuté considérablement. Cette paupérisation a favorisé l’apparition de pratiques frauduleuses, comme l’achat de diplômes, une pratique devenue malheureusement courante dans nombre d’universités russes.Pour les étudiants étrangers, la disparition de l’URSS a eu des répercussions plus tragiques encore: du jour au lendemain, les bourses ont cessé d’être versées. N’ayant pas la possibilité de travailler sur place, les étrangers se sont retrouvés dans le plus grand dénuement. Durant les années 1991-1994, la situation est devenue explosive. L’image de l’université a été considérablement ternie par des affaires de prostitution, de racket et de trafics imputées à des étudiants étrangers. L’université est encore présentée comme un haut lieu du trafic de drogue. Cette renommée sulfureuse n’est pas forcément méritée, la xénophobie et l’hostilité latentes de la population n’aidant pas à faire la part de choses entre dénonciation de vraies dérives et diabolisation des étudiants étrangers. Ceux-ci sont d’ailleurs victimes du phénomène skinhead, sous-estimé par les pouvoirs publics et quasiment ignoré par les média. Les étrangers les plus “visibles” - Noirs et Extrême-asiatiques - sont les plus visés. En 2000, un étudiant angolais a été assassiné par un groupe de néo-nazis. Face à pareil drame, les autorités ont su réagir en organisant pour la première fois une “ journée contre le racisme ”. Avec un peu d’optimisme, l’on peut penser que ce type d’action témoigne d’une prise de conscience au sein des élites des potentialités offertes par la coopération internationale.Le vecteur d’un nouveau rayonnement international?Avec l’arsenal stratégique et militaire, l’université Lumumba constitue en effet l’une des dernières sources de prestige pour la Russie. Pour nombre d’étudiants du Tiers-monde, le voyage à Moscou continue à fasciner. Quand on connaît les rêves d’Occident de la jeunesse russe, pareille attirance peut paraître quelque peu surprenante. Plusieurs facteurs peuvent pourtant expliquer le phénomène. Tout d’abord, certains Etats ne disposent pas d’université ou offrent à leurs étudiants un nombre restreint de filières. L’île Maurice, par exemple, n’a été dotée d’une faculté de médecine qu’en 2000 et la majorité de ses praticiens ont fait leurs études à Moscou. En outre, nombre de jeunes ambitieux viennent étudier en Russie car ils n’ont pas les moyens de le faire en Europe ou aux Etats-Unis. La Russie est pour eux une solution intermédiaire, en attendant mieux. Tous les étudiants, toutefois, ne sont pas guidés par la recherche de la solution la moins mauvaise. Dans certains secteurs, comme les langues, la physique et la médecine, l’Université Lumumba propose des études de très bon niveau, souvent comparables aux standards occidentaux. C’est d’ailleurs le plus grand succès de l’établissement : la qualité de ses cursus lui permet de bénéficier aujourd’hui d’une aura renouvelée auprès des jeunes étudiants russes. Qui, incidemment, auront ainsi le bonheur de pratiquer “l’amitié entre les peuples”.

S’inscrire à Lumumba

Le statut particulier de l’université Lumumba engendre des systèmes d’inscription différents. Pour les Russes ou les russophones, il faut, comme pour toute admission universitaire, réussir un examen (avec tous les “arrangements” financiers que cela peut impliquer). Pour les étrangers, l’admission dépend des accords de coopération et/ou des finances du futur étudiant. Tout élève étranger ayant achevé avec succès ses études secondaires peut s’inscrire dans la filière de son choix, pourvu qu’il prenne l’ensemble des frais à sa charge. Ces étudiants, considérés comme riches, sont présents dans les filières les plus courues: médecine, relations internationales, économie. Dans la plupart des cas, les études et le logement des Africains et des Asiatiques sont toutefois pris en charge gratuitement par la Russie. Ces derniers disposent d’une bourse de leur gouvernement pour la vie courante et le billet d’avion. Leurs domaines d’études sont restreints et le nombre de bourses dépend des accords passés avec chaque pays. Les critères d’attribution des bourses sont parfois obscurs. Le Sénégal a ainsi droit à trente bourse tandis que la petite Guinée-Bissau envoie une cinquantaine d’étudiants chaque année à Moscou.

Alexis FEUILLAT, le 01/10/2002

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