Le durcissement des positions du Kremlin sur la scène internationale comme en politique intérieure présageait un candidat à la succession de Vladimir Poutine issu des structures de sécurité. Il n’en est rien. C’est le plus libéral, et le seul prétendant officieux au trône de Poutine à n’être pas passé par les services de sécurité, qui a été choisi hier par le président russe.
Dans une mise en scène solennelle de la télévision d’Etat, Poutine est apparu suivi des quatre chefs des partis pro-Kremlin et de l’intéressé, Dmitri Medvedev. Le Président a pris d’abord la parole pour présenter la candidature de Medvedev. «Nous voudrions vous présenter cette candidature, que nous soutenons tous. C’est la candidature du premier vice-Premier ministre, Dmitri Anatolevitch Medvedev. […] Je le connais depuis dix-sept ans. Nous avons étroitement travaillé ensemble toutes ces années.» Medvedev reçoit ainsi le soutien massif de Russie unie, qui vient d’obtenir 64 % des voix aux élections législatives du 2 décembre - Poutine était tête de liste. Mais aussi de Russie juste (7,5 %) et de deux autres partis alliés (Force citoyenne et le Parti agraire), rassemblant ensemble 3 % des voix.
D’apparence modeste, s’exprimant toujours avec calme, retenue, voire timidité, Medvedev contraste avec un Poutine tranchant et très sûr de lui. Depuis deux ans qu’il est présenté par les médias russes comme un des deux successeurs probables de Poutine, l’ancien avocat a beaucoup été exhibé sur les chaînes télévisées contrôlées par l’Etat. Sans qu’une ombre de charisme ne se manifeste, en dépit du travail intense des spin doctors du Kremlin.
«Monsieur social». Toute la carrière de Medvedev s’est faite dans le sillage de son mentor Poutine : au début des années 90, lorsque ce dernier conjuguait affaires et politique à la mairie de Saint-Pétersbourg ; puis au Kremlin en 2000, lorsque Poutine est propulsé à la tête du pays. Medvedev suit son mentor à Moscou et est placé au cœur de l’administration présidentielle, une sorte de gouvernement occulte tout-puissant en Russie. Ce n’est qu’en novembre 2005 que sa nomination au poste de premier vice-Premier ministre le fait apparaître en plein jour. Medvedev se voit alors chargé de réaliser des «projets nationaux» destinés à améliorer le logement et la natalité dans le pays. Etiqueté dès lors «monsieur social», Medvedev profite d’une intense promotion sur les écrans télévisés. Une image positive qui, ajoutée à son absence de pedigree au sein des structures répressives du pouvoir et à sa proximité avec les milieux d’affaires, en font le représentant de l’aile libérale du Kremlin. C’est du moins ainsi qu’il est présenté dans les médias russes et internationaux. «C’est un détail très important, estime Leonid Poliakov, un politologue proche du Kremlin. Cela signifie que les priorités de l’Etat russe ont changé. Il ne s’agit plus de lutte contre le terrorisme ni de rétablir l’ordre en Tchétchénie ou dans les rangs de l’armée. Les priorités sont désormais le développement économique et social du pays. Dmitri Medvedev a pour mission principale d’améliorer le niveau de vie des Russes.»
«Prête-nom». «Il est lui-même oligarque, corrige Vladimir Pribylovski, politologue proche de l’opposition. C’est un homme d’affaires prospère disposant de pouvoir politique. Il contrôle officieusement 25 % des parts d’Ilim Pulp [le plus gros producteur de papier russe, ndlr] où il a trouvé un prête-nom pour ses parts.» En outre, Medvedev suit de près le secteur gazier, qui génère des milliards de dollars de bénéfice chaque année. Il préside depuis deux ans le conseil d’administration du géant gazier Gazprom et l’un de ses plus proches amis, Konstantin Chuychenko, dirige RosUkrEnergo, la très opaque société qui détient le monopole des livraisons de gaz russe en Ukraine.
«Je ne le présenterais pas comme un libéral, poursuit Vladimir Pribylovski. Il ne diffère guère de Poutine sur le plan idéologique. C’est avant tout un pragmatique. Avec lui, la politique étrangère de la Russie ne changera que si les tarifs des hydrocarbures changent. Si les prix s’effondrent, bien sûr que la politique étrangère russe changera.» Pour Leonid Poliakov, «Dmitri Medvedev semble plus libéral et pro-occidental que son rival Sergueï Ivanov [l’autre premier vice-Premier ministre présenté jusqu’à hier comme successeur probable], qui possède une image plus conservatrice voire même nationaliste. Mais ces nuances sont davantage liées à des traits de caractère. Ils sont tous deux déterminés à poursuivre la voie montrée par Poutine.»
Depuis quelques mois, les sondages indiquent que les Russes sont prêts à voter pour le candidat proposé par Poutine. Pour l’heure, le nom de Dmitri Medvedev recueille autour de 25 %. Mais les experts ne doutent pas qu’il sera élu dès le premier tour de la présidentielle, le 2 mars. «Tout dépend de ce que décidera Poutine, estime Vladimir Pribylovski. Les chiffres dépendent entièrement de la commission électorale russe et cette dernière dépend entièrement du Président.»
Libération
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