Cette première grande sortie de la flotte russe est une nouvelle manifestation de la volonté du Kremlin d’affirmer sa puissance.
C’est la résurgence de la grande Eskadra. Le retour des étraves russes en Méditerranée renvoie aux temps où la flotte soviétique lancée par Khrouchtchev marquait les navires de la VIe flotte américaine. Le ministre russe de la Défense, Anatoli Serdioukov, a annoncé mercredi que la marine russe allait effectuer sa première grande sortie en Méditerranée depuis la chute de l’URSS. «L’objectif est d’assurer une présence navale dans des régions stratégiquement importantes des mers du globe» a-t-il déclaré en présentant la mission à Vladimir Poutine. D’autres navires patrouilleront dans le nord-est de l’Atlantique.
Une dizaine de bâtiments de guerre, dont le porte-avions Amiral Kouznetsov, vont cingler vers la Méditerranée. Ils seront appuyés par 47 avions, dont des bombardiers stratégiques. Le porte-aéronefs et des navires de lutte anti-sous-marine ont quitté leur base de Severomorsk, près du cercle polaire arctique. Ils seront rejoints par des bâtiments de la flotte de la mer Noire.
À l’évidence, cette nouvelle annonce s’inscrit dans une gesticulation militaire croissante, destinée à affirmer le renouveau de la puissance russe. Vladimir Poutine a déjà annoncé la reprise des vols à long rayon d’action des bombardiers stratégiques russes. Cet été, ces appareils sont même allés «chatouiller» les systèmes d’alerte américains au large de Guam dans le Pacifique. Ou encore ceux de la Norvège et de la Grande-Bretagne au-dessus de la mer du Nord. Juste de quoi provoquer le décollage en urgence de quelques avions de l’Otan… Régulièrement, Moscou annonce aussi la mise au point d’armes nouvelles. Comme, tout récemment, la bombe à effet de souffle «la plus puissante au monde».
Les années 1990 avaient pourtant imprimé l’image d’une armée russe en haillons, n’arrivant même plus à payer les notes d’électricité de ces garnisons. L’activisme militaire d’aujourd’hui s’appuie-t-il sur un réel renouveau des armées ?
Un réel effort budgétaire. Les comparaisons avec les dépenses militaires occidentales sont difficiles à faire, mais on estime qu’entre 2000 et 2007, le budget de la Défense a été multiplié par quatre. Selon les estimations, il tournerait entre 30 et 60 milliards de dollars. Il pourrait représenter entre 2,5 et 3 % du PIB. «Cet effort est réel, commente Isabelle Facon, chercheur à la FRS (Fondation pour la recherche stratégique), mais il faut relativiser sa portée en se rappelant que l’on part de très bas. Dans les années 1990, les forces conventionnelles n’ont reçu aucun équipement nouveau». Il reste à remettre de l’ordre dans les finances des armées, une masse non négligeable d’argent – les budgets de recherche notamment – s’évaporant dans des circuits douteux.
Une priorité au nucléaire. Certains experts estiment qu’environ 50 % du budget irait aux forces stratégiques. «Difficile à dire, explique Isabelle Facon, mais il est certain que le nucléaire reste une priorité, et ce pour deux raisons : la posture face aux projets de boucliers antimissiles américains et le temps qu’il va falloir avant de disposer de forces conventionnelles modernisées.» Le vertigineux déclin des forces classiques va en effet prendre des années avant d’être enrayé.
Des effectifs stabilisés. Des quelque 3,5 millions d’hommes de l’Armée rouge, la Russie avait hérité 2,7 millions de soldats. Ces effectifs ont été réduits à 1,1 million d’hommes et l’objectif est de ne pas descendre en dessous du million. Les généraux se sont aussi fixé pour objectif la formation de forces de réaction rapide professionnelles de l’ordre de 150 000 à 200 000 hommes, pour la projection sur les conflits.
Une industrie d’armement en redressement. L’industrie de défense russe est aujourd’hui très active sur le front de l’exportation. Dans les années 1990, l’absence de commandes intérieures russes l’avait d’ailleurs amenée à exporter 80 % de sa production. Cette situation se rééquilibre. L’innovation technologique reste cependant très inférieure à celle des industries occidentales, l’effort de recherche ayant été longtemps inexistant. D’où la recherche par les firmes russes de partenariats industriels pour acquérir des savoir-faire technologiques.
Si, aujourd’hui, le discours de puissance retrouvée de la Russie s’appuie indéniablement sur le «muscle militaire», Isabelle Facon rappelle que des voix autorisées à Moscou mettent en garde contre les erreurs du passé. En l’occurrence, alors que les priorités sont nombreuses (infrastructures, santé, éducation), elles appellent à ne pas s’épuiser dans une course aux dépenses militaires qui a déjà coûté cher à la Russie soviétique.
Le Figaro
Arnaud de La Grange
06/12/2007 | Mise à jour : 22:01 |
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