mardi 4 décembre 2007

Poutine capitalise la fierté russe retrouvée


Le score sans appel des législatives de dimanche n’est pas que le résultat de fraudes massives. Le président russe personnifie pour les Russes le retour de l’ordre et de la capacité de Moscou à peser au niveau international.

Ils étaient de nouveau près de dix mille jeunes hier, rassemblés au pied de la cathédrale Saint-Basile, agitant des ballons blanc, bleu, rouge, pour fêter la victoire de leur président. Le mouvement pro-Poutine Nachi se réjouissait ainsi des 64 % obtenus dimanche par Russie unie, avec plus de 60 % de participation. Le score sans appel de ces curieuses législatives transformées en plébiscite n’est-il que le fruit d’une confiscation de la démocratie en Russie et de fraudes à grande échelle ? La popularité de Vladimir Poutine, régulièrement crédité de 70 % d’opinions positives dans les sondages, n’est-elle, comme le dénonce Garry Kasparov, l’opposant du Kremlin le plus médiatique, qu’une baudruche artificiellement gonflée ? À coup de propagande et de pétrole cher.

«La plupart des Russes sont sincèrement convaincus que si Poutine s’en va, la situation empirera», commente Maria Lipman, politologue au centre Carnegie de Moscou. «La plupart des gens sont contents, poursuit la spécialiste, ils se sentent mieux qu’il y a trois ou quatre ans.» Il n’est qu’à voir la frénésie de consommation à Moscou, de voitures, d’électroménager, de services pour constater la hausse de niveau de vie des classes moyennes. Certes les inégalités s’accroissent, mais Poutine assure que durant ses deux mandats, la part de ses compatriotes vivant ­en ­dessous du seuil de pauvreté est passée de 40 à 20 %. Sur les neuf premiers mois de l’année, le salaire moyen avait augmenté de 25 % par rapport à 2006. Poutine a signé un oukase samedi, veille des élections, qui ordonne d’augmenter de 300 roubles (8,50 €) par mois la retraite de base et de 608 roubles (17 €) la solde du soldat. Une mesure démagogique, dénoncent les critiques, qui entretient sa popularité.

«Poutine s’est retrouvé à la tête du pays un peu comme on se retrouve dans un appartement de l’État où tout est à réparer, où il n’y a ni électricité ni eau chaude», résume un conseiller du Kremlin. On mesure souvent mal, en Occident, à quel point les Russes sont traumatisés par les salaires qui ne tombaient pas dans les années 1990, puis par la crise financière de 1998.

Formidable professionnel de la communication

Aussi, lorsque les jeunes poutiniens fustigent, comme hier, «les traîtres (comprendre les libéraux, NDLR) qui veulent prendre le pouvoir, pour revenir aux années 1990, les années des oligarques, les années de l’arbitraire», le propos fait mouche. D’autant que «ces années» renvoient aussi à la disparition humiliante de l’URSS. Beaucoup de Russes, résume Maria Lipman, sont reconnaissants à Poutine d’avoir relevé la tête sur la scène mondiale. «Même s’ils voient les manœuvres du pouvoir, les citoyens en général ne sont pas très préoccupés par leurs droits politiques», poursuit-elle. Et l’argument ressassé selon lequel les Russes «ont besoin d’un homme fort», trouve un écho dans la rue. «Chez nous, on ne paralyse pas le pays par des grèves, on ne brûle pas les voitures de police», rétorque Evgueni, un électeur moscovite. Lorsqu’il pose cet été, biceps et pectoraux avantageux à l’air, seul face à la nature sauvage de Sibérie, Poutine déchaîne les passions sur les forums Internet. L’ex-colonel du KGB au visage gris s’est métamorphosé au fil des ans. Pour devenir un formidable professionnel de la communication. «Lorsqu’il a monétisé les avantages en nature hérités de l’époque soviétique, sa popularité a chuté, rappelle un journaliste russe accrédité au Kremlin. Il l’a rapidement regagnée en paraissant aux commandes d’un bombardier stratégique Tupolev 160 en août 2005.»

«A l’approche des élections, le peuple craint d’être piégé par des aventuriers politiques, des groupes criminels ou des officiels corrompus», racontait il y a quelque temps Nikolaï Zlobine, directeur du programme Russie à l’Institut sur la sécurité mondiale de Washington. «Or il n’associe Poutine à aucune de ces catégories.» Les accusations du politologue Stanislav Belkovsky sur l’enrichissement personnel du président restent inaudibles.

Alors, populaire Poutine ? «Un dictateur est toujours populaire, jusqu’au jour où il s’en va», cingle la virulente journaliste Ioulia Latynina. La popularité du «tsar Poutine» semble néanmoins reposer sur autre chose que la peur et la propagande. Elle n’en est pas moins fragile, avertit Stanislav Belkovsky. Le retour de l’inflation et les tensions croissantes dans le Caucase pourraient être les prémices d’un gros temps à venir.

Le Figaro

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