La Russie a annoncé hier qu’elle avait commencé à livrer du combustible nucléaire pour la centrale atomique iranienne de Bouchehr.
Dans la partie de poker planétaire qui se joue autour du programme nucléaire iranien, Moscou semble avoir cédé sa carte maîtresse. La Russie a annoncé hier qu’elle avait livré, dimanche, un premier lot de combustible d’uranium à l’Iran pour sa centrale atomique de Bouchehr, toujours en chantier. Celle-ci pourrait désormais produire ses premiers kilowatts dès l’automne 2008. C’est une surprise, car le fournisseur russe avait fait du report de la livraison des barres d’uranium 235 à son client iranien son meilleur moyen de pression. De hauts diplomates russes avaient assuré à leurs homologues américains et européens que les problèmes techniques et financiers invoqués n’étaient que des prétextes. Et que la Russie ne livrerait pas le «carburant» du premier réacteur civil iranien tant que la République islamique ne se plierait pas aux exigences internationales.
Pour justifier la fourniture, le ministère russe des Affaires étrangères a affirmé que la livraison privait l’Iran de raisons d’enrichir lui-même son uranium. «L’Iran nous a donné de nouvelles assurances écrites que le combustible serait exclusivement utilisé pour la centrale de Bouchehr», a indiqué Moscou. Une position conciliante, adoptée en concertation avec Washington comme l’a indiqué la Maison-Blanche, mais accueillie par une douche froide : un responsable iranien a affirmé hier que Téhéran continuerait à enrichir son propre uranium, malgré la fourniture du combustible russe.
Nouvelle donne géopolitique
En fait, la Russie a estimé qu’après la situation du dernier rapport des services secrets américains minimisant la menace nucléaire iranienne, la donne géopolitique avait changé. Rajab Safarov, directeur du centre pour l’étude de l’Iran contemporain à Moscou, affirme ainsi que «les Américains mènent en cachette des négociations avec l’Iran, via l’Arabie saoudite. Si la Russie avait continué de reporter la livraison, cela aurait nui à ses intérêts. L’Iran est maintenant prêt à donner à la Russie un accès plus large à son marché». Le président iranien du groupe d’amitié parlementaire Iran-Russie, Kazem Jalali, n’a pas dit autre chose hier en saluant «ce geste positif qui répare l’image négative de la Russie dans l’opinion publique et ouvre une nouvelle étape pour des projets conjoints». La Russie a voté à deux reprises les sanctions de l’ONU contre l’Iran depuis un an.
C’est, selon Rajab Safarov, au cours de la visite de Vladimir Poutine à Téhéran, il y a deux mois, que le virage a été négocié. Le président russe s’était alors engagé publiquement à livrer le combustible rapidement. Mais les non-initiés pouvaient penser qu’il ne s’agissait que de bonnes paroles et qu’il différerait encore la livraison. Quelques jours avant son voyage, le président russe avait déclaré à son invité Nicolas Sarkozy, pour expliquer sa position : «Nous n’avons pas d’information sur la volonté de l’Iran de développer l’arme nucléaire.» Cette visite de Poutine chez le troisième acheteur d’armements russes «a été son voyage le plus difficile de sa carrière», confiait récemment un proche conseiller du président russe.
La construction de la centrale de Bouchehr, démarrée par l’allemand Siemens avant la Révolution islamique de 1979 avait été interrompue par la guerre Iran-Irak. Ce n’est qu’en 1994 que la Russie a repris le contrat, accumulant les difficultés. La centrale aura une capacité de 1 000 mégawatts. Le combustible russe a fait l’objet de contrôles de l’AIEA et Moscou exclut qu’il puisse être détourné à des fins militaires. Pour autant, la partie de poker atomique n’en est pas terminée.
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