Claude Tiramani est gérant spécialiste de la Russie au sein de Parvest BRIC, le fonds de BNP Paribas dédiés aux quatre principaux pays émergents. Il détaille ses préférences d’investissement dans ce pays en pleine mutation.
LE FIGARO.FR – La Russie est connue pour la richesse de ses sous-sols. Comment misez-vous sur les matières premières dans ce pays?
Claude Tiramani – La Russie produit désormais plus d’or que l’Afrique du sud. Elle extrait aussi du nickel. Surtout, elle est le pays le plus riche en gaz, avec 26% des réserves mondiales. Dans ce secteur, nous aimons beaucoup Gazprom. Il va devoir réaliser des investissements importants pour développer ses réserves en Sibérie, difficiles d’accès. Mais sa rentabilité devrait croître jusqu’en 2011. Le tarif du gaz est en effet subventionné pour le moment en Russie. Il est donc vendu sur son marché domestique près de 60% moins cher qu’en Allemagne. Mais comme la Russie souhaite intégrer l’organisation mondiale du commerce, elle doit mettre un terme à cette politique tarifaire préférentielle. Elle devrait donc augmenter ses prix de 20 à 25 % par an au cours des quatre prochaines années. Elle vient d’ailleurs d’enclencher ce processus, en relevant ses prix juste après les élections législatives, qui se sont tenues le week-end dernier. Nous ne nous attendions pas à cette décision si vite, en plein hiver. Mais le pouvoir est suffisamment fort pour le faire dès aujourd’hui, sans attendre le printemps.
La Russie est aussi un grand producteur de pétrole. Quelle est votre stratégie pour cette matière première ?
Le pétrole facile, c’est terminé. Les groupes pétroliers ont investi beaucoup d’argent ces dernières années pour acquérir des techniques occidentales permettant d’augmenter la productivité des gisements. Mais ces champs pétrolifères se tarissent. Ils vont donc devoir investir encore davantage pour découvrir et exploiter de nouveaux gisements. C’est très coûteux. Aussi, le pétrole est davantage taxé que le gaz, il n’y aura donc pas un effet de convergence des prix comme celui qui est attendu sur le gaz. La plupart des sociétés de ce secteur sont en outre valorisées très cher. La seule que nous sélectionnons sans hésiter est Rosneft. Cette société qui a acquis Iouganskneftegaz, le reliquat de l’empire Ioukos, présente de bonnes perspectives.
Quels sont les autres secteurs qui vous séduisent en Russie ?
Les industriels russes de l’acier sont très compétitifs. Ils produisent en effet à la fois les composants de l’acier, charbon et minerai de fer, et l’acier lui-même. Et leurs carnets de commandes sont remplis. La Russie développe actuellement ses infrastructures, routes et chemins de fer. L’immobilier est aussi en plein essor, des logements sociaux aux résidences de luxe. De nombreuses sociétés arrivent pour lever de l’argent dans ce secteur. Le réseau électrique doit être rénové pour éviter les coupures de courant, fréquentes à Moscou. L’Allemand E.ON et l’Italien Enel sont passés à l’offensive pour mettre un pied dans ce secteur, qui sera privatisé l’an prochain.Par ailleurs, la consommation se développe, pas seulement à Saint-Pétersbourg ou Moscou, mais aussi dans les campagnes. Les opérateurs télécom sont très intéressants. Nous aimons beaucoup Wimpelcom, qui pourrait fusionner avec Golden Telecom, le leader des télécommunications en Russie. Wimpelcom va installer la fibre optique à Moscou, et si l’alliance est confirmée, elle permettra des synergies importantes.La grande distribution s’installe dans le pays. La vente au détail reste l’apanage des commerces d’Etat, mais quelques supermarchés commencent à sortir de terre. La concurrence fait rage actuellement pour trouver les bons emplacements, qui seront déterminants par la suite.
Faire des affaires en Russie n’est pas toujours de tout repos… De nombreux chefs d’entreprises subissent des pressions de la mafia. Comment intégrez-vous ce paramètre dans vos choix d’investissement?
La mafia est présente partout où il y a du pétrole. Il peut être dangereux de vouloir faire respecter les contrats. C’est aussi le cas sur le site de Khashagan, au Kazakhstan. Pour éviter ces problèmes, il est plus simple d’investir dans des sociétés liées au Kremlin. Mais la comptabilité des sociétés russes est tout de même plus transparente désormais. La plupart publient des comptes aux normes internationales IFRS.Il faut noter aussi que le management des sociétés russes change. Depuis deux ou trois ans, leurs instances dirigeantes intègrent des Occidentaux. Ceux-ci diffusent des techniques de managements nouvelles, et poussent à l’amélioration de la rentabilité.
Le succès du parti de Vladimir Poutine aux élections législatives, le week-end dernier, est-il un signal fort pour les marchés?
Ces élections ont été un non-événement. L’issue en était attendue. L’enjeu sera peut-être différent lors de l’élection présidentielle, en mars. Il faut tout de même noter que Vladimir Poutine a amorcé des changements économiques dans le pays. Il se montre très directif au niveau industriel. C’est lui aussi qui a décidé d’utiliser la manne pétrolière pour améliorer les infrastructures du pays. La fuite des capitaux observée sous Eltsine a pris fin. La Russie enregistre même des entrées nettes de capitaux désormais. Et les Russes se sentent fiers. Il leur a redonné confiance dans l’avenir. Cela compte. Mais par ailleurs, la population décroît, et l’espérance de vie est faible en Russie.
Est-ce le bon moment pour investir en Russie ?
La Russie résiste mieux que les autres pays émergents à l’évolution du marché américain, auquel elle est moins exposée. Mais personne ne peut prédire aujourd’hui quelle sera l’ampleur des répercussions de la crise du subprime. Cependant, les perspectives de croissance en Russie sont bonnes à moyen terme. Son PIB a augmenté de 7.3% au troisième trimestre. Ce n’est pas négligeable. Avec la libéralisation de l’électricité l’an prochain, et des télécoms, ensuite, le marché russe devrait gagner en profondeur, et devenir moins dépendant des matières premières. Il faut tout de même garder à l’esprit qu’il subsiste un problème de liquidités dans ce pays.
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