En quête de son successeur à la tête du pays, Vladimir Poutine sera obligé de choisir non seulement un candidat en chair et en os, mais aussi - et surtout - un modèle de présidence, estime-t-on à la banque Renaissance Capital. Deux variantes méritent ici toute notre attention. Si la mission du successeur est de maintenir le statu quo, la meilleure solution serait de choisir le "modèle Brejnev". Au contraire, s'il est appelé à opérer des réformes économiques intenses, le "modèle Pierre le Grand" serait le bienvenu.
Etant donné que le régime politique établi ces derniers temps en Russie se distingue par la concentration du pouvoir entre les mains du Kremlin, il faut exclure d'emblée toute variante prévoyant la victoire d'un candidat non soutenu par le Kremlin, affirme une économiste de Renaissance Capital, Ekaterina Malofeïeva, dans son rapport "Elections en Russie: un guide pratique de l'investisseur" publié mercredi 5 septembre 2007. Inutile de dire que la question de savoir qui sera le préféré de Poutine à la présidentielle de 2008 intéresse tout le monde. L'analyste estime que la liste définitive des prétendants ne se limite pas aux deux favoris du président russe: les premiers vice-premiers ministres Sergueï Ivanov et Dmitri Medvedev.
Mme Malofeïeva a également inscrit sur cette liste le représentant plénipotentiaire du président dans la région fédérale du Sud Dmitri Kozak, le premier ministre Mikhaïl Fradkov, la gouverneure de Saint-Pétersbourg Valentina Matvienko, le vice-premier ministre Sergueï Narychkine, le chef de l'administration présidentielle Sergueï Sobianine et le président des Chemins de fer russes Vladimir Iakounine.
Quoi qu'il en soit, l'une des tâches essentielles du successeur sera de maintenir le statu quo entre les principaux groupes politiques et économiques du pays, et de protéger les hommes d'affaires proches du Kremlin qui se sont enrichis sous la présidence poutinienne, écrit Mme Malofeïeva. Et si Poutine désire rester dans la politique, son successeur devra déléguer une partie des pouvoirs généralement exercés par le Kremlin à la structure dont le président sortant prendra la direction.
Tout successeur désigné par Poutine tendra nécessairement soit vers l'un des deux modèles personnifiés par Brejnev et Pierre le Grand, estime l'analyste.
Leonid Brejnev, qui a succédé à Nikita Khrouchtchev après sa destitution en 1964, a eu pour mission de ne rien changer, constate le rapport de Renaissance Capital. Un président du type de Brejnev sera bel et bien incapable d'adopter des "mesures drastiques". En outre, il sera très commode à éliminer si Poutine décide de revenir en 2012. Trois personnes conviennent parfaitement pour ce rôle: Fradkov, Matvienko et Narychkine. Comme ils ne sont pas affiliés à des groupes économiques et politiques concrets, leurs candidatures pourront recueillir le consensus, voire le soutien des élites.
Le "modèle Pierre le Grand" présuppose la capacité du futur leader national d'utiliser la "verticale du pouvoir" édifiée par son prédécesseur pour réaliser sa propre conception du développement du pays. Deux candidats sont cités ici par Mme Malofeïeva: Kozak et Iakounine.
Tout en évitant de situer Ivanov et Medvedev sur l'échelle "Brejnev - Pierre le Grand", elle souligne néanmoins que les électeurs sont plus enclins à soutenir Ivanov: son style de comportement leur rappelle celui de Poutine. Quant à Medvedev, son image de technocrate-bureaucrate est moins attrayante aux yeux du public.
Selon toute vraisemblance, le successeur appliquera le "modèle Brejnev", estime le directeur général adjoint de l'Institut des systèmes sociaux, Dmitri Badovski. Le "modèle Pierre le Grand" ne convient pas à Poutine: ce modèle suppose que son successeur aura le même monopole de prise des décisions que celui qui est actuellement détenu par Poutine lui-même. Cependant, il ne faut pas exclure que la pause qui durera jusqu'au retour de Poutine en 2012 pourra être remplie de réformes impopulaires, mais indispensables, que l'on évite actuellement de réaliser pour ne pas compromettre l'image de Poutine, conclut M. Badovski.
De son côté, un chercheur du Centre Carnegie, Dmitri Trenine, est persuadé que l'inévitable rivalité entre les clans aboutira au partage du pouvoir et à l'apparition, en 2008-2009, de plusieurs centres de force, si bien que le successeur ne disposera pas de toute la plénitude du pouvoir. Il ne sera que le premier parmi les égaux, affirme M. Trenine.
Poutine préfère le "modèle Pierre le Grand" et son entourage, le "modèle Brejnev", estime l'analyste allemand Alexander Rahr. Les leaders qui font bouger le pays sont généralement suivis de ceux qui recherchent le calme. Voici pourquoi l'entourage de Poutine rêve tellement de mettre un Brejnev à la tête de ce consortium qui s'appelle Russie. Il n'en reste pas moins que le "modèle Pierre le Grand" est plus probable (M. Rahr évalue cette probabilité à 80%). A son avis, Sergueï Ivanov convient on ne peut mieux pour ce rôle: c'est bien lui qui doit devenir "le clone de Poutine".
La différence entre les deux modèles est illusoire, estime Jerome Boot, chef du service analytique de la société britannique Ashmore Investment Management, dont les actifs sont évalués à 17 milliards de dollars sur les marchés en développement. "La Russie se distingue par une bureaucratie puissante qui a sa propre idée de ce que l'Etat peut et de ce qu'il ne peut pas faire dans l'économie", dit-il. Le "modèle Pierre le Grand" ne marchera pas, mais on peut néanmoins l'essayer", ajoute M. Boot. Le "modèle Brejnev" est plus probable. L'essentiel réside dans la façon de matérialiser les idées: répéter sans cesse "nous sommes pour le développement des hautes technologies" est une chose, mais mobiliser des experts pour créer de nouvelles entreprises dans ce domaine en est une autre.
(Publié dans le journal "Vedomosti" le 6 septembre 2007).
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.
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