samedi 8 septembre 2007

Avec l'"affaire Kashagan", le Kazakhstan veut remettre la main sur ses ressources pétrolières

REUTERS/STR
Le Premier ministre kazakh Karim Masimov lors de la conférence Kazenergy à Astana le 6 septembre 2007.

L'"affaire Kashagan". C'est bien ainsi qu'il faut désormais appeler le conflit opposant le Kazakhstan à un consortium international sur l'un des plus grands projets pétroliers au monde - et le plus coûteux. Le premier ministre kazakh a annoncé, jeudi 6 septembre, que la société nationale des hydrocarbures KazMounaïGas "doit devenir "co-opérateur"" du projet d'exploitation de ce champ géant de la mer Caspienne, reléguant au second plan la compagnie italienne ENI qui en était jusqu'à présent l'opérateur à la tête du consortium Agip KCO.


L'annonce de Karim Massimov ne constitue pas une surprise après la décision d'Astana, fin août, de suspendre les travaux de Kashagan pour trois mois. Il s'agissait, officiellement, de sanctionner ENI et ses partenaires (Total, ExxonMobil, Shell...) pour non-respect des normes environnementales, l'arme déjà utilisée par la Russie pour permettre à Gazprom de prendre le contrôle dans le projet Sakhaline-2 au détriment de Shell.

En fait, le président kazakh, Noursoultan Nazarbaev, reproche à Agip KCO les cinq ans de retard dans la mise en production de Kashagan, différant d'autant les rentrées de pétrodollars. Cinquième gisement mondial avec plus de 40 milliards de barils de réserves prouvées et probables, ce champ est stratégique pour un pays qui veut devenir l'un des dix premiers exportateurs de brut en 2015, au niveau du Nigeria et du Venezuela.

Initialement prévue en 2005, l'extraction du premier baril a été repoussée à la fin 2010. Au mieux. Avancé par le ministère des finances kazakh, le montant des pertes de revenus liées à ce retard donne le vertige : plus de 40 milliards de dollars (29,3 milliards d'euros) ! Astana avait annoncé, cet été, qu'il pourrait réclamer "au moins 10 milliards de dollars" au consortium. Si les "négociations amicales" en cours échouent, a prévenu M. Massimov, son pays sortira un "plan B".

Le Kazakhstan estime que "l'équilibre économique du projet a été rompu" et souhaite que sa part des bénéfices futurs passe de 10 % à 40 %. Le directeur général de Total (18,5 % du consortium), Christophe de Margerie, a prévenu que son groupe ne fera "aucune concession" sur un point :"la profitabilité à long terme" du nouveau contrat.

Les surcoûts de Kashagan ont aussi explosé en raison de la forte hausse des équipements et des services pétroliers. Selon certaines études, le coût de développement de nouveaux champs a été multiplié par quatre depuis 2000, année de découverte de Kashagan. Pour celui-ci, la facture est passée de 30 à 136 milliards de dollars. Au point que des experts s'interrogent sur la viabilité économique du projet en cas de chute des cours du brut.

"DÉFIS TECHNIQUES ÉNORMES"

"Dans de tels projets, la taille des opérateurs compte. ENI n'était pas armé pour celui-là, mais le Kazakhstan l'a choisi parce qu'il ne voulait pas d'un géant" comme ExxonMobil ou Shell, analyse Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies. Kashagan présente en effet des "défis techniques énormes", en raison du gel des eaux six mois de l'année et de la forte teneur du brut en souffre, corrosif pour les pipelines.

Le Kazakhstan ne pourra pas se priver des services des majors occidentales, seules capables de mener à bien un projet si complexe. Son premier ministre s'est voulu rassurant pour les investisseurs étrangers, assurant que son pays est "à l'abri de tout prétendu nationalisme des ressources naturelles". "Il veut aussi, comme la Russie ou le Venezuela, avoir une part plus grosse du gâteau", nuance M. Terzian.

Tout en étant intégrée à un espace économique dominé par Moscou, l'ex-République soviétique veut s'affirmer comme un fournisseur fiable de l'Europe et des Etats-Unis, qui comptent sur ses hydrocarbures pour réduire leur dépendance à la superpuissance énergétique russe. En gage de bonne volonté, Astana a proposé d'associer le commissaire européen à l'énergie à la renégociation du contrat.

Jean-Michel Bezat
Article paru dans l'édition du Monde du 08.09.07.

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