jeudi 6 septembre 2007

L’ex patron de la Banque centrale à la conquête du Kremlin

Au sein d’une opposition anti-Kremlin plus que jamais divisée, Viktor Gerachtchenko espère s’imposer en vieux sage. Mais surtout, avant la présidentielle russe du 2 mars 2008, il espère faire le consensus autour de sa personne pour devenir le candidat unique face au successeur officiel de Vladimir Poutine. « Je ne suis pas le moins bien préparé ! », ironise-t- il. Peu connu à l’étranger, ce vétéran de la finance et de la politique est bel et bien à 70 ans une figure familière et souvent réputée parmi les Russes. Un charisme limité, un discours souvent creux, un physique de grand- père, des lunettes vieillottes. Mais un sourire sympathique, un vif sens de l’humour…et une carrière très riche. Une carrière en fait tout en zigzags... Cet économiste, qui a eu le privilège de travailler à l’étranger pour les structures financières soviétiques, a ensuite dirigé à deux reprises la Banque centrale de la nouvelle Russie. Puis il s’est mis à la politique. Pendant un temps marionnette manipulée par le Kremlin, il dit aujourd’hui vouloir combattre les manoeuvres électorales du pouvoir. Ancien député de Rodina, parti natio-naliste de gauche, il s’est régulièrement opposé aux réformes choc du post communisme. Mais il s’est parallèlement forgé un profil de libéral, en acceptant notamment de présider le conseil d’administration de Ioukos, l’ex-groupe pétrolier privé. « Plus qu’un professionnel de la politique, c’est un technocrate », résume le politologue Dmitrii Oreshkine. « Avant tout, un démocrate. Et un pragmatique ! », se défend Gerachtchenko face aux critiques au sein même de l’opposition. « Un cynique ! », conteste Alexeï, simple électeur anti-Kremlin qui l’accuse d’être « un homme au passé ambigu, sans doute lié au KGB pendant ses années dans la finance soviétique à l’étranger. Et sans principes, passant d’une crèmerie à l’autre... » La remarque amuse Gerachtchenko. « En économie, il faut une dose de cynisme... », réplique- t-il. A la tête de la Banque centrale, il a souvent été perçu comme l’avocat du statu quo. Le « plus mauvais banquier de l’histoire », a ironisé un capitaliste américain, l’accusant du crash du rouble en 1994. Un « Hercule », l’a depuis baptisé la presse russe, admirative devant sa ténacité. De pragmatisme, Gerachtchenko a encore dû en faire preuve à la tête des vaines tentatives pour sauver Ioukos de la liquidation judiciaire. Une faillite que le Kremlin est soupçonné d’avoir orchestrée pour mettre le pétrole du groupe sous le contrôle de l’Etat et faire taire son ex patron, l’oligarque Khodor-kovski. « Ioukos, c’est fini ! », lâche aujourd’hui Gerachtchenko, rencontré au siège social de l’ancien géant de l’or noir, désormais bâtiment silencieux et désert. Un an après le début des poursuites pour fraudes fiscales, Gerachtchenko avait pourtant été choisi pour agir en « intermédiaire » entre les autorités et l’oligarque. « J’ai appelé le Kremlin », raconte-t-il. « Un adjoint à l’administration présidentielle, l’une de mes connaissances, a été direct : pas d’accord possible... » Depuis, plus aucun contact. Ironie de l’histoire, Gerachtchenko, se servant de Ioukos comme d’un tremplin politique, est devenu une valeur montante de l’opposition. « Si la présidentielle de mars 2008 est une élection honnête, Gerachtchenko a ses chances. Son opposition, dans les années 90, aux réformes ultra libérales lui vaut une certaine popularité... », analyse Dmitrii Oreshkine. « Mais les ressources administratives risquent d’intervenir pour l’intimider, obtenir le retrait de sa candidature ou provoquer une maladie diplomatique... » Cela n’empêche pas Gerachtchenko, du haut de son bureau de l’ex Ioukos (avec vue sur le Kremlin...), de parler de « nécessité de changement au pouvoir », tout en reconnaissant la popularité du régime de Poutine qui a apporté « stabilité politique et développement économique». « En fait, la majorité des électeurs disent qu’ils n’iront pas voter... », affirme Gerachtchenko. Du coup, selon lui, cela ouvre une porte à l’opposition. Mais, face à la multiplication des candidatures (au moins cinq parmi les libéraux et les communistes), « seul un candidat unique peut l’emporter », insiste-t-il, rappelant au passage que, contrairement aux candidats libéraux, il pourrait grâce à sa popularité à gauche compter sur le soutien communiste. Pour le moment, il se contente de se déclarer « prêt » à se présenter « si » l’opposition accepte de s’unir. « Mais, en coulisses, le pouvoir agit pour que chacun présente son candidat... » En bon cynique, Gerachtchenko ne se fait donc guère d’illusions.
Benjamin Quénelle
Le Courrier de Russie

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