dimanche 16 septembre 2007

La lutte anticorruption, arme électorale du Kremlin

Intervenant, vendredi 14 septembre, devant les députés de la Douma qui venaient de confirmer sa nomination au poste de premier ministre, Viktor Zoubkov, a placé la lutte contre la corruption au centre des priorités de son gouvernement. Pour lutter contre ce phénomène qui "imprègne la société russe", il a appelé à la création d'une structure semblable au service de surveillance financière qu'il dirigeait depuis 2001, capable de traiter "chaque jour et non au coup par coup, des questions de corruption".


Salué pour avoir contribué à ce que la Russie ne figure plus, en 2002, sur la liste noire du Groupe d'action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent, le nouveau premier ministre, qualifié parfois par les médias d'"agent du renseignement financier", semble tout désigné pour cette tâche.

La lutte contre la corruption s'annonce donc comme un des thèmes phares de la campagne électorale en vue des législatives (2 décembre) et de la présidentielle (mars 2008). "Ce thème est très porteur", soulignait récemment le quotidien Kommersant. Le journal n'excluait pas qu'il puisse servir de tremplin au nouveau premier ministre s'il se porte candidat à la présidence. Tout comme la Tchétchénie et la lutte antiterroriste avaient servi à Vladimir Poutine, alors inconnu du grand public, pour se faire élire en mars 2000.

Le 8 octobre, la corruption sera au centre d'une réunion du Conseil de sécurité. Une nouvelle stratégie de lutte sera alors dévoilée, un organe anticorruption devrait voir le jour. La seule incertitude porte sur qui, du FSB (services de sécurité) ou du parquet, le dirigera. Le dossier est entre les mains de Viktor Ivanov, un général-colonel de la réserve, devenu chef adjoint de l'administration présidentielle.

Maladie chronique de la société russe, la corruption se porte bien. Selon la fondation moscovite Indem, au cours de la période 2001-2006, elle a crû de façon considérable. Son revenu annuel global, estimé à 33,5 milliards de dollars en 2001, est passé à 240 milliards (185 milliards d'euros) en 2006, soit l'équivalent du budget de l'Etat, selon une déclaration faite en novembre 2006 par Alexandre Bouksman, procureur adjoint de la Fédération de Russie. Selon un sondage effectué cet été par le centre d'études de l'opinion publique Iouri Levada, la corruption est citée par 43 % des personnes interrogées comme "le frein essentiel au développement économique du pays".

Engagé depuis 2006, le grand nettoyage anticorruption s'est soudainement abattu sur les maires russes, non sans prendre l'allure d'un vaste règlement de comptes politique. En un an, une douzaine d'édiles, accusés de corruption, ont été arrêtés, démis de leurs fonctions et jugés. Maire d'Arkangelsk (nord-ouest de la Russie), Alexandre Donskoï, 37 ans, est, depuis février, sous le coup de plusieurs accusations de malversations. Il est accusé d'avoir autorisé la construction d'un centre commercial dans sa ville sans disposer des permis nécessaires, d'avoir pioché dans le budget municipal pour payer des gardes du corps de son fils et d'avoir falsifié son diplôme universitaire.

Incarcéré, il nie ces accusations. Son plus grand tort est sans doute d'avoir eu l'imprudence de se déclarer candidat à l'élection présidentielle. Il a dévoilé ses intentions en octobre 2006. Quelques semaines plus tard, son domicile était perquisitionné.

Alexandre Donskoï est loin d'être le seul. Le 13 juin, l'ancien maire de Volgograd (région de la Volga, sud), Evgueni Ichtchenko, était condamné à un an de prison pour "activités économiques illégales" et "possession de munitions". Comme il avait purgé sa peine en détention préventive, il a été libéré à sa sortie du tribunal. Quand il était maire, M. Ichtchenko était connu pour ses prises de bec avec le parti pro-Kremlin, Russie unie.

La liste des maires accusés de malversations et de corruption ne s'arrête pas là. Elle comporte aussi le maire de Vladivostok, Vladimir Nikolaev ; celui de Togliatti, Vladimir Outkine ; celui de Rybinsk, Evgueni Sdvijkov ; celui de Tomsk, Alexandre Makarov. Cette soudaine propension à traquer les maires corrompus à la veille des élections a une explication. Ils sont les derniers représentants élus par la population, contrairement aux gouverneurs des régions qui, depuis 2004, sont nommés par le président.

Le fait d'avoir été élu leur donne légitimité, indépendance et entregent. Pas question pour ceux-là de se plier à la discipline de "la verticale du pouvoir". La plupart des maires tombés en disgrâce avaient ainsi pour particularité d'être en conflit avec le gouverneur ou avec le parti Russie unie. Au centre de toutes ces affaires, on trouve des conflits financiers.

En Russie, 73 % de la population vivent dans les villes, où sont concentrées la plupart des ressources financières. Or les maires sont des personnages influents qui contrôlent une partie importante du revenu de la région. Ces ressources restent hors d'atteinte des gouverneurs, dès lors qu'ils ne parviennent pas à s'entendre avec les maires. La tentation est grande de faire avec eux comme avec les gouverneurs : qu'ils soient nommés et non plus élus, ce qui est désormais le cas pour Moscou et Saint-Pétersbourg dont les maires, Iouri Loujkov et Valentina Matvienko, sont nommés par le Kremlin.

Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 16.09.07 du Monde

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