lundi 17 septembre 2007

La lutte entre les entreprises étrangères sur le marché russe est de plus en plus âpre


Interview de Jean-François COLLIN, Ministre Conseiller pour les Affaires Economiques et Financières, Ambassade de France en Russie.
Question: Comment appréciez-vous l'état actuel du marché russe et quelles sont ses
perspectives ?
Réponse : Le marché russe est un marché en très forte croissance. L'économie russe connait un des taux de croissance les plus importants parmi les économies qualifiées d'émergentes. Cette vigoureuse croissance économique est tirée principalement par la consommation des ménages. C'est ce qui explique le boom du marché des biens de consommation, des biens d'équipement des ménages, de l'automobile, de la construction ou des services.
Depuis le milieu de l'année dernière, les investissements réalisés par les entreprises russes pour se moderniser, constituent à leur tour un facteur important de croissance. C'est une nouveauté encourageant quant aux perspectives de croissance à moyen terme.
Dans ce contexte, la Russie constitue une opportunité pour toutes les entreprises à la recherche de débouchés. C'est ce qui en fait aussi un marché de plus en plus concurrentiel, sur lequel la lutte entre les entreprises est de plus en plus âpre.
Question: Existe- t-il des différences foncières entre le marché russe et européen ?
Réponse : Bien sûr, il y a en Russie des réglementations spécifiques, différentes de celles des marchés de l'Europe de l'ouest. Certains secteurs ne peuvent être abordés qu'au prix d'un effort d'adaptation important aux normes de production locale. D'autres sont organisés au travers de la délivrance de licences d'importations. Mais plus encore que ces différences de réglementation, ce sont les différences de mentalités entre l'Europe de l'ouest et la Russie qui comptent. La place qu'occupent les relations personnelles en Russie, la nécessité de connaître personnellement les décideurs induisent des comportements différents de ceux auxquels nous sommes habitués sur les grands marchés d'Europe de l'ouest.
L'autre différence importante, me semble-t-il, c'est l'incertitude juridique qui règne encore, dans certains domaines, en Russie ; l'imprévisibilité des changements qui peuvent survenir dans tel ou tel secteur. C'est ainsi que le commerce de tous les produits contenant plus 1,5° d'alcool a été profondément perturbé au cours de l'année 2006 en raison d'un brusque changement des règles applicables. Aujourd'hui, c'est le secteur des médicaments qui est affecté par des modifications importantes. Et nombreuses sont les entreprises étrangères qui se plaignent du comportement, parfois imprévisible, des administrations russes.
Question: Quels secteurs du marché russe intéressent le plus les investisseurs
français ?
Réponse : Il faut d'abord souligner que les investissements étrangers en Russie restent globalement faibles. Dans ce tableau d'ensemble, la France occupe une position moyenne étant, suivant les années, entre la quatrième et la neuvième place parmi les investisseurs étrangers en Russie. Ces investissements sont très diversifiés. Ils peuvent être des investissements commerciaux dans le secteur des biens de consommation par exemple : c'est ainsi que la plupart des grandes marques du luxe français ont des filiales commerciales en Russie. Mais la France a également réalisé de gros investissements dans le secteur de la grande distribution : les magasins Auchan et les marques qui sont liées à ce groupe, Leroy Merlin, Décathlon, etc... sont très présents à Moscou et, de plus en plus, dans les grandes villes russes. La plupart des grands groupes pharmaceutiques français ont des filiales commerciales en Russie. L'un d'entre eux, le groupe Servier, est en train de construire une usine de production à proximité de Moscou.
Renault a créé une usine importante près de Moscou. Peugeot s'apprête à faire de même quelque part en Russie. Dans le secteur des matériaux de construction, les groupes Saint-Gobain ou Lafarge ont réalisé d'importants investissements en Russie et sont tout à fait prêts à aller plus loin. Dans le domaine de la production et des transports de l'électricité, Alstom vient de signer un contrat important avec Mosenergo et un mémorandum of understanding avec le groupe UGMK pour construire des centrales de production d'électricité en Oural. Enfin, comment ne pas mentionner Total qui exploite le gisement pétrolier de Kariagha et qui s'intéresse de très près au développement du gisement gazier de Shtokman. On pourrait encore citer les secteurs de la banque, où la Société Générale s'apprête à prendre le contrôle de Rosbank qui contrôle un des principaux réseaux d'agences dans tout le pays.
Il n'y a donc pas de secteurs privilégiés. Le savoir-faire français est très diversifié et les entreprises sont prêtes à investir dans la plupart des secteurs.
Question: Est-ce que le marché russe est ouvert aux moyennes et petites entreprises étrangères ?
Réponse: Sur les 4 à 500 entreprises françaises implantées en Russie, il y a bien entendu un grand nombre de PME. Certaines d'entre elles réussissent très bien. Mais l'honnêteté oblige à dire que la Russie reste un marché difficile pour les petites et moyennes entreprises. Qu'il s'agisse d'y établir un courant d'affaires permanent, ou d'y investir, l'approche du marché russe est longue et les coûts sont très importants. Les services sont chers et ce n'est pas pour rien si Moscou a gagné la place de capitale la plus chère du monde l'année passée, selon les cotations établies par un certain nombre de cabinets de consultants étrangers.
Question: Quel est le bilan économique de l'année passée du point de vue du commerce bilatéral ? Y a-t-il de nouvelles tendances ? La coopération franco-russe a-t-elle connu un nouvel élan ?
Réponse : L'année 2006 a été une très bonne du point de vue du développement des relations économiques bilatérales entre la France et la Russie. Les exportations françaises ont augmenté d'un peu plus de 40%, tandis que les exportations russes vers la France augmentaient de plus de 30%. Naturellement la structure des flux est très différente dans un sens et dans l'autre : nous achetons essentiellement des hydrocarbures à la Russie ; nous lui vendons en revanche une gamme de produits très diversifiée, qu'il s'agisse de biens de consommation, de produits agro-alimentaires, de biens intermédiaires ou de biens d'équipement. L'augmentation des flux commerciaux bilatéraux est une des plus importantes que la Russie ait connu avec ses principaux partenaires en 2006. Il y a eu une véritable prise de conscience de l'importance de la Russie du côté des dirigeants d'entreprises en France, et cet intérêt se traduit par des efforts de prospection commerciale de plus en plus importants. Cette tendance devrait se confirmer dans les années qui viennent.
Question: En 2005, la Russie a adopté une loi sur "les zones économiques spéciales" dans le cadre de laquelle on prévoit la création de 6 zones spéciales. Les milieux d'affaires français sont-ils intéressés par ce projet ? Y a-t-il des propositions concrètes ? Quelles sont les zones qui suscitent le plus d'intérêt ?
Réponse : Les zones économiques spéciales sont une idée intéressante mise en avant par le gouvernement russe, mais dont le succès est encore à venir. Ce succès dépendra de la dynamique qui sera créée d'abord par les entreprises russes dans ces zones. Si les ZES deviennent des zones d'investissements importants pour les entreprises russes, les entreprises étrangères y viendront aussi.
Ce que cherchent les entreprises étrangères qui viennent en Russie, plus encore que des conditions spécifiques en matière de fiscalité, ce sont des marchés, la clarté des règles administratives et juridiques qui leur seront appliquées, et de la prévisibilité. Les zones économiques spéciales peuvent contribuer à répondre à cette attente, mais globalement c'est dans tout le pays que les entreprises souhaitent trouver ces conditions.
Question: L'année passé, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie français a annoncé un programme spécifique en direction de pays connaissant un essor économique particulier : Chine, Inde, Brésil et Russie. Qu'est-ce qui a été fait dans cette direction ? Est-ce que l'opinion des milieux d'affaires russes sur la France a changé ?
Réponse : Notre ministère de l'économie et du commerce extérieur a considéré, en effet, qu'un certain nombre de marchés, dont la Russie, étaient des marchés prioritaires. Pour cette raison, il a décidé d'y concentrer les moyens publics au lieu de les disperser sur l'ensemble des pays de la planète. L'objectif de cet effort public est à la fois de mobiliser les entreprises françaises pour qu'elles viennent plus nombreuses sur le marché russe, et pas simplement à Moscou mais également dans les régions. Pour cela, les pouvoirs publics français ont mis en place un ensemble de mesures d'accompagnement de nos entreprises pour favoriser leur travail en Russie. Les résultats de 2006 montrent que cet effort a porté ses fruits.
Je ne sais pas si les hommes d'affaires russes voient autrement aujourd'hui la France qu'ils ne la voyaient il y a deux ans. Je suis sûr, en revanche, que les hommes d'affaires français accordent aujourd'hui à la Russie toute l'importance qu'elle mérite dans leur stratégie de développement international.
Question: Récemment, Sergueï Narychkine, co-président russe du CEFIC, a été nommé vice-Premier ministre du gouvernement russe. Dorénavant, il couvrira les relations économiques avec l'étranger et le commerce extérieur. Pensez-vous que cette nomination pourrait contribuer au renforcement de la coopération franco-russe ?
Réponse : Je l'espère et j'en suis convaincu. Nous avons toujours trouvé auprès de M. Narychkine un interlocuteur attentif et extrêmement efficace pour faire progresser les dossiers. C'est un responsable politique qui connait la France, qui l'apprécie et qui a le souci de renforcer notre relation bilatérale.
Question: Comment pourriez-vous formuler la particularité principale de la Russie en tant que destination potentielle des investissements étrangers ?
Réponse : C'est une question que nous avons déjà abordée. J'y reviendrai simplement en disant qu'au fond, c'est à la Russie qu'il revient de répondre maintenant à cette question. L'intérêt qu'ont pour la Russie ses partenaires étrangers, notamment en ce qui concerne la France, est clairement établi. Les entreprises sont prêtes à venir, elles l'ont montré, pour investir et faire du commerce en Russie. C'est maintenant à la Russie de préciser le cadre qu'elle offre aux investisseurs étrangers, notamment au travers des lois actuellement en cours d'examen sur les conditions d'investissements dans les secteurs considérés comme stratégiques par le pays. Dès lors que les règles seront connues et stables, le développement des investissements en Russie connaitra certainement une nouvelle vigueur.
(Propos recueillis par Marie Afonina)

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