lundi 17 septembre 2007

Nikolaï Ryjkov: "Il nous aurait fallu emprunter la voie chinoise"


Nikolaï Ryjkov, président de la Commission sur les monopoles naturels du Conseil de la Fédération (Chambre haute du parlement russe), ancien président du Conseil des ministres de l'URSS
Q: On vous connaît comme un grand ami du peuple chinois...
R: Je suis fier d'avoir figuré, à la fin des années 1980, parmi les personnes peu nombreuses qui proposaient de tourner la page de 25 années dramatiques dans les relations russo-chinoises et d'engager une coopération mutuellement avantageuse. J'insistais à l'époque sur la nécessité de la normalisation de nos relations avec la Chine.
Q: Que pensez-vous des relations actuelles entre la Russie et la Chine?
R: Elles ne sont pas mauvaises. Bien des décisions de taille ont été adoptées dans leur cadre. L'Année de la Russie en Chine a connu un grand succès en 2006, et l'Année de la Chine est en train de se dérouler en Russie en 2007. Une délégation de femmes chinoises est récemment venue à Moscou à l'invitation du Conseil de la Fédération.
Il m'est souvent arrivé d'aller en Chine, où je me trouvais en visite pour la dernière fois au mois de mars dernier. En 2003, j'y ai revu mon ami de longue date Li Peng, qui m'a offert deux beaux albums de photos.
Tout ce qui se fait en Chine depuis une vingtaine d'années mérite le plus profond respect. Je regrette beaucoup qu'entre 1989 et 1991, quand l'URSS s'est retrouvée à la croisée des chemins, obligée de se choisir un nouveau modèle de développement économique, un point de vue erroné ait prédominé. Toutefois, en 1995, Li Peng m'a dit que mes propositions de réforme de l'économie soviétique formulées à la fin des années 1980 ressemblaient beaucoup à la réforme chinoise. J'étais de son avis: "Il nous aurait fallu emprunter la voie chinoise, mais malheureusement d'autres forces ont alors pris le dessus". J'envie les Chinois parce qu'ils ont choisi la bonne voie de développement. De nos jours, les succès et les acquis de la Chine ne sont contestés par personne dans le monde. C'est l'un des grands mérites de Deng Xiaoping. Les taux de croissance économique en Chine sont vraiment frappants: 10, 12, 14%! Les Chinois refreinent même quelque peu ces cadences, craignant une surchauffe de l'économie.
En l'espace de douze ans, de 1995 à 2007, d'immenses transformations se sont opérées dans l'empire du Milieu. A Shanghai, par exemple, j'ai vu dans les rues bien des Toyota, des Mercedes et des Audi. J'ai dit: "Vous êtes un pays riche, pour acheter des voitures aussi chères". Et les Chinois de me répondre: "Vous vous trompez, nous n'achetons pas toutes ces voitures - nous les fabriquons nous-mêmes!" A l'heure actuelle, on assemble déjà en Chine des avions conjointement avec les Européens. Je peux dire que notre parc d'aviation en Russie, et surtout sur celui des lignes intérieures, ne supporte pas la comparaison face au parc d'aviation des lignes locales en République populaire de Chine.
Q: Pendant de longues années vous avez travaillé au poste de président du Conseil des ministres de l'Union soviétique. Comment pourrait-on aujourd'hui améliorer la coopération économique entre la Russie et la Chine? Qu'en pensez-vous?
R: On ne peut évaluer notre coopération de manière tranchée, car les formes mêmes de coopération du temps de l'URSS et celles d'aujourd'hui sont parfaitement différentes. Il y avait à l'époque un tout autre système, d'autres formes de coopération économiques, y compris une assistance soviétique, l'URSS ayant construit en Chine plus de 200 entreprises sidérurgiques, de construction automobile, aéronautiques et d'armements.
De nos jours, tout a changé. On observe aujourd'hui un tout autre modèle économique. Nous vivons à l'heure actuelle dans le contexte des relations de marché. A présent, celui qui gagne est celui qui vend une marchandise de qualité au meilleur prix.
Il faut augmenter sensiblement le chiffre d'affaires du commerce entre la Russie et la Chine. En ce moment, notre industrie de la chaussure souffre énormément de l'expansion chinoise. Aussi bon nombre d'entreprises russes mettent-elles tout simplement la clé sous la porte.
Une grande attention est réservée en Chine à la promotion des technologies innovantes. J'en ai déjà parlé en 1995 après avoir visité des zones économiques libres à Shanghai. En 1995, il n'y avait là qu'une seule tour de télévision, entourée de simples villages. Aujourd'hui 2,5 millions de personnes y habitent! C'est toute une ville avec des instituts, des salles d'expositions et ainsi de suite. Quoi qu'il en soit, notre gouvernement s'est mis alors à créer des zones économiques libres de type offshore. Ce sont des zones tout à fait différentes de celles qu'on trouve en Chine. J'espère cependant que la riche expérience chinoise en matière de création de zones économiques libres nous sera encore très utile.
Q: Quels sont les grands axes de votre travail au poste de président de la Commission sur les monopoles naturels du Conseil de la Fédération?
R: Je m'occupe des problèmes des monopoles naturels, qu'il s'agisse du secteur gazier, des télécommunications, des transports, y compris des chemins de fer, et de l'énergie, dont le nucléaire civil. Nous avons aussi en charge les problèmes de l'industrie pétrolière. De nos jours, notre pays, et surtout son potentiel d'exportation, s'appuie essentiellement sur la production des monopoles naturels. La contribution des monopoles naturels au budget fédéral de la Russie approche 60%. Une telle situation s'observera sans doute encore longtemps. La part des constructions mécaniques dans les exportations russes ne constitue que 3% tout au plus. Autrement dit, aujourd'hui la construction de machines n'est pas compétitive en Russie. Somme toute, les monopoles naturels définissent aujourd'hui le développement économique de notre pays. A mon avis, une telle disproportion est néfaste. On ne peut pas construire le modèle de développement économique de l'Etat sur la base de sources qui ne sont pas récupérables, car dans 20, 30 ou 40 ans, il est possible que la génération suivante n'ait tout simplement plus de gaz ni de pétrole. C'est pourquoi j'admire l'exemple de bien des pays du Proche-Orient. Ainsi, l'Arabie Saoudite, qui regorge littéralement de pétrole, a un budget et un produit intérieur brut (PIB) qui se forment à plus de 60% grâce au raffinage du brut. Par ailleurs, ce pays développe les constructions mécaniques et l'industrie du tourisme. La Russie doit, elle aussi, développer d'autres branches. Nous devons avoir des constructions mécaniques compétitives, et de fortes industries chimique et sidérurgique.
Pour promouvoir la construction aéronautique et navale, ainsi que le nucléaire, des holdings d'Etat ont été créés en Russie. Nous proposons de créer aussi une structure - un comité ou une agence - qui puisse coordonner le développement de l'industrie chimique.
Propos recueillis par Iouri Ploutenko.

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