Les déclarations de l'ex-président géorgien, Edouard Chevardnadze, invitant les pays occidentaux au boycottage des Jeux olympiques de Sotchi en 2014, a remis de l'huile sur le feu. Dans une interview récente au quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta, M. Chevardnadze, qui fut ministre des affaires étrangères de l'URSS, s'est étonné du choix du comité olympique. Sotchi, station balnéaire et de sports d'hiver de la Fédération de Russie, est située à 30 kilomètres seulement de l'Abkhazie, région séparatiste de Géorgie soutenue par Moscou. Le gouvernement géorgien est moins catégorique. Ainsi Batu Kutelia, vice-ministre géorgien de la défense, estime que les investissements prévus à Sotchi - 8 milliards d'euros, selon Moscou - "devraient favoriser le développement économique ainsi que la recherche d'une solution".
Pour le moment, la situation est loin d'être stable en Abkhazie. Le 18 octobre, un incident armé entre la police géorgienne et des "gardes-frontières" abkhazes a fait un mort, un Abkhaze. Le 20 septembre, deux officiers russes avaient été tués, "à bout portant" selon l'ONU, par des membres des forces géorgiennes. Moscou a ensuite expliqué que les deux officiers, anciens membres de la force de paix russe en Abkhazie, avaient été recrutés comme instructeurs par les forces abkhazes.
Sous couvert de sa mission onusienne de maintien de la paix, la Russie alimente les visées sécessionnistes de cette région stratégique des bords de la mer Noire, en fournissant un soutien logistique aux séparatistes et en distribuant des passeports russes à la population locale. Depuis peu, les indépendantistes se prennent à espérer : si le Kosovo devient indépendant, pourquoi pas l'Abkhazie ? Ce parallèle a d'ailleurs été dressé par Vladimir Poutine.
Le président pro-occidental Mikhaïl Saakachvili a beau avoir promis de ramener les deux régions séparatistes géorgiennes (Abkhazie et Ossétie du Sud) dans le giron du pouvoir central, sa marge de manoeuvre est limitée. Abkhazes et Géorgiens ne se parlent pas, aucun plan de paix n'a jamais vu le jour. Dans une résolution adoptée le 15 octobre, l'ONU a prolongé le mandat de la force de paix russe - une concession faite à Moscou, tout en reconnaissant l'intégrité du territoire de la Géorgie -, un signe positif envoyé aux Géorgiens. Enkysté depuis quatorze ans, le conflit abkhaze est un potentiel terrain d'affrontement entre la Russie et la Géorgie.
Mais l'incident le plus sérieux entre les deux voisins a eu lieu en dehors des lignes de cessez-le-feu séparatistes (Abkhazie et Ossétie du Nord). Le 6 août, un missile russe a été tiré sur le territoire géorgien, sans faire de victimes. Un rapport d'enquête de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a entretenu le flou sur la nature de l'incident. Moscou a nié toute implication. Pourtant, les experts militaires occidentaux sont formels : le missile antiradar de type Kh-58, de fabrication russe, a bien été tiré. Des traces de combustion ont été relevées sur son moteur. Par ailleurs, les radars géorgiens ont bien enregistré, ce jour-là, une incursion d'avions venus du Nord.
Cet incident renforce, aux yeux de Tbilissi, la nécessité d'une intégration rapide dans le système de défense anti-aérienne de l'OTAN. Actuellement, le pays ne peut adopter de "riposte graduée", la seule option étant d'abattre l'avion intrus. De nouveaux radars pourraient être fournis par des pays membres de l'Alliance. La Géorgie cherche à se doter d'avions intercepteurs, mais n'en a pas les moyens malgré la hausse constante du budget de la défense (600 millions de dollars en 2007, contre 27,5 millions en 2004).
Depuis son bureau à Tbilissi, M. Kutelia insiste : "L'adhésion à l'OTAN est la meilleure garantie de notre sécurité. Elle est aussi un gage de stabilité pour toute la région, mais tous les pays ne le voient pas ainsi." Forte du soutien de Washington, la Géorgie espère accéder au Plan d'action pour l'adhésion (MAP, l'étape n° 3 dans le processus d'adhésion qui en compte quatre), dès le sommet de Bucarest en avril 2008. Engagée depuis 2006 dans le "dialogue intensifié", elle a déjà un pied dans l'organisation. Elle s'est dotée d'une armée de professionnels (28 000 hommes) et a modernisé ses infrastructures. La base de Senaki a été rénovée. Une autre est en construction à Gori.
A l'état-major géorgien, des dizaines de conseillers militaires étrangers sont présents, dont des Turcs et des Américains. Alors que la Turquie tient le marché de la construction des infrastructures militaires, les Américains entraînent le contingent destiné à l'Irak (2 000 hommes) et équipent l'armée géorgienne.
Marie Jégo