vendredi 26 octobre 2007

Expatriés en Russie: affaires sans frontières


Par Ekaterina Poliakova, RIA Novosti

Les spécialistes étrangers sont arrivés en masse en Russie au début des années 90: la chute du rideau de fer a fait voler en éclats la barrière qui séparait l'URSS du monde occidental. Alors que le marché européen avait depuis longtemps été partagé entre de nombreux acteurs de tous niveaux et qu'il était bien difficile pour les nouvelles figures de se trouver une "place au soleil", un immense marché inexploré a subitement offert un vaste champ d'activité. Tout d'abord, la Russie doit beaucoup aux compagnies étrangères qui y ont ouvert leurs filiales, où travaillaient de nombreux gestionnaires étrangers. C'étaient d'abord des représentants des secteurs les plus dynamiques: médias électroniques, télévision, radio et, bien entendu, publicité. La France a joué un des rôles les plus importants dans ce mouvement: les sociétés françaises figurent jusqu'à présent parmi les compagnies les plus efficaces sur le marché russe. Nous sommes redevables pour beaucoup à la France de nous avoir fait découvrir ce phénomène des années 90 que furent les séries télévisées, qui poussèrent tant d'habitants du pays à se hâter de rentrer chez eux après le travail ou les études pour apprendre les nouvelles aventures de leurs personnages préférés devenus si proches. Le fait est que les agences de pub françaises payaient par des séries le temps d'antenne accordé à leurs spots publicitaires à la télévision russe. L'argent commençait seulement à affluer en Russie, c'est pourquoi le troc était alors plus commode que les moyens de paiement habituels.

Par ailleurs, les Européens sont arrivés en Russie non seulement comme des explorateurs, mais aussi comme des enseignants, en apportant les canons occidentaux en matière de gestion des affaires. C'était en quelque sorte une répétition de l'époque de Pierre le Grand, mais, cette fois-ci, les spécialistes occidentaux n'ont pas été invités "d'en haut", ils sont arrivés eux-mêmes, attirés par le vaste champ des nouvelles possibilités. Il est vrai, cette situation est allée de pair avec une certaine position de mentor à l'égard des Russes qui faisaient leurs premiers pas sur un terrain où les Européens étaient déjà des joueurs expérimentés. D'ailleurs, la majorité des "expats" ne considèrent plus la Russie comme un pays sauvage et arriéré et ne se posent plus en civilisateurs qui y ont apporté la culture. Ce sont à présent les compagnies russes qui cherchent les meilleurs spécialistes à l'étranger et leur proposent du travail. Les rémunérations des spécialistes russes et étrangers sont devenues presque égales, alors que dans les années 90 les Russes gagnaient cinq fois moins que les expatriés. L'intérêt des compagnies russes pour les spécialistes étrangers s'est considérablement accru: il est difficile de trouver aujourd'hui une firme russe qui n'en compte pas. Dans des sociétés comme MTS (le plus gros opérateur de téléphonie mobile en Russie), presque tous les hauts postes de marketing sont occupés par des étrangers. Les managers étrangers sont de plus en plus nombreux dans les secteurs financier et juridique (environ 30 à 40%), ils sont moins nombreux sur le marché des biens de consommation, des télécommunications et dans le commerce de détail (environ 10% dans chaque secteur). Dans les secteurs stratégiques, ils sont en revanche assez rares.

Fait paradoxal: bien que les spécialistes étrangers coûtent plus cher aux compagnies russes (compte tenu des frais de déplacement, des voyages dans leur pays et des avantages plus larges), au bout du compte, "l'investissement" dans les étrangers s'avère plus avantageux. Les managers russes de haut niveau, gâtés par leurs employeurs, font souvent monter les prix et demandent des salaires exorbitants au moment des négociations, alors que les exigences financières des spécialistes étrangers sont celles du marché du pays d'où ils sont arrivés, et la plupart des marchés occidentaux ne connaissent pas une expansion aussi impétueuse que le marché russe. Qui plus est, la compétence des managers russes n'est toujours pas au niveau du développement des affaires, en pleine explosion. Par contre, les managers occidentaux possèdent des connaissances, une expérience et une réputation nécessaires aux compagnies russes qui interviennent sur le marché occidental.

D'ailleurs, l'embauche d'un spécialiste étranger crée des difficultés. Tout d'abord, l'employeur doit expliquer pourquoi il ne peut pas embaucher un citoyen russe à tel ou tel poste. Ensuite, l'ensemble des formalités nécessite un temps long et parfois indéterminé. Mais les employeurs russes sont prêts à accepter ces procédures au nom de leurs intérêts.

Mais le problème principal des spécialistes étrangers en Russie n'est pas économique ou législatif, mais purement intérieur. Nombre d'entre eux n'arrivent pas à s'adapter à la vie en Russie: ils ne connaissent que deux ou trois phrases russes pour les contacts avec les vendeurs ou les agents de la police routière, mais, dans la plupart des cas, ils ne savent rien dire du tout et ne parviennent pas à s'habituer à la cuisine russe. Si un étranger occupe un poste de direction, son entreprise vit selon les règles de son pays et le russe n'est pas employé dans son bureau. Certains spécialistes étrangers finissent par abandonner leurs affaires en Russie pour revenir dans des conditions plus familières. Ceux qui restent se créent leur propre milieu au travail comme en dehors: ils créent des associations et des clubs avec leurs compatriotes où ils n'utilisent que leur langue maternelle... Quoi qu'il en soit, des spécialistes étrangers toujours plus nombreux travaillent en Russie. Le nombre de familles mixtes augmente, même si un des époux ne parle pas russe. Leurs enfants sont bilingues et acquièrent une double culture. Cela signifie que la Russie continue à s'ouvrir au monde.

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