Le patriarche orthodoxe russe, qui arrive demain pour une visite historique en France, dit partager l'inquiétude du pape Benoît XVI pour une Europe « qui comprend la liberté comme la possibilité de tout faire ».
LE FIGARO. - Vous venez en France à l'invitation de l'Église catholique pour la première fois, alors que vous êtes depuis 17 ans à la tête de l'Église orthodoxe russe. Est-ce un signe qu'une rencontre entre le Pape et vous-même se rapproche ?
Patriarche ALEXIS II. - En 17 ans au service de l'Église, j'ai visité 83 diocèses de l'Église orthodoxe russe. J'ai donc toujours eu le projet de visiter le diocèse de Chersonèse, qui se trouve en France. Cette visite a été accélérée par l'invitation du président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui m'a proposé de m'adresser à cette enceinte. En visitant Strasbourg, je ne pouvais laisser Paris de côté. J'ai donc accepté avec plaisir l'invitation de la Conférence des évêques catholiques de France. Je suis heureux de pouvoir clarifier notre point de vue et écouter celui de l'Église catholique. La question essentielle, c'est l'homme. Nous vivons dans un monde sécularisé, qui cherche à marginaliser la religion. Il faut préserver les valeurs spirituelles.
Benoît XVI a lui aussi exprimé son inquiétude face au « vide spirituel » de l'Europe. Cette inquiétude commune peut-elle être la base d'un rapprochement de fond ?
Nous avons la même approche. Il faut défendre les valeurs chrétiennes face à une liberté qui est comprise comme la possibilité de tout faire. Nous devons coopérer pour empêcher la redéfinition des valeurs morales européennes, la légalisation des unions homosexuelles, la propagande en faveur de l'euthanasie ou de l'avortement. Je suis persuadé que l'Église catholique et l'Église orthodoxe doivent agir ensemble pour défendre les valeurs chrétiennes contre un matérialisme agressif. La vision personnelle du Pape contribue à ce rapprochement. Concernant la possibilité d'une rencontre avec Benoît XVI, je ne l'exclus pas du tout. Peut-être pas dans un mois, mais dans un an ou deux. Cependant, il faut se préparer soigneusement, lever toutes les difficultés.
Vous pensez aux activités de l'Église catholique en Russie ?
Dans le contexte de la liberté religieuse qui s'est affirmée dans notre pays, certains hiérarques de l'Église catholique ont affirmé que la Russie était un désert religieux qu'il fallait cultiver. Je ne suis pas d'accord. La Russie est le territoire canonique de l'Église orthodoxe russe. L'activité de quelques ordres missionnaires catholiques est perçue par notre peuple comme du prosélytisme. L'autre question en suspens, c'est l'activité de l'Église gréco-catholique (Église romaine de rite byzantin, NDLR) en Ukraine occidentale et son désir de s'étendre dans des régions où elle n'a jamais eu d'implantation, comme l'Ukraine orientale, la Russie ou le Kazakhstan. Je suis catégoriquement opposé à ce que ma rencontre avec le Pape, qui aura un caractère historique, ne soit qu'un événement médiatique. Elle doit permettre de surmonter véritablement les désaccords.
Que direz-vous aux Européens à Strasbourg ?
Mon adresse visera à rappeler la nécessité de remettre la morale au coeur des droits de l'homme que défend le Conseil de l'Europe. La société, qui est éduquée hors de l'espace religieux, perd de plus en plus de vue cette exigence. La discussion des droits de l'homme ne peut exclure, non plus, les droits des communautés, notamment religieuses. Aucune conception du monde, y compris celle qui se dit séculière, ne peut prétendre à un monopole.
Beaucoup estiment que ces références occultent les autres religions en Europe, notamment l'islam. Partagez-vous l'inquiétude du Pape quant à un choc de civilisation entre islam et chrétienté ?
Nous autres Russes avons vécu ensemble, musulmans et orthodoxes, depuis des siècles. Quand des conflits émergeaient sous couvert de divergences religieuses, ils étaient toujours importés de l'extérieur. Cette intégration de différentes cultures s'est faite dans la durée. En Europe occidentale, cette communauté est de plus fraîche date. J'ai présidé la conférence des Églises européennes. Nous recevions des informations sur le nombre de mosquées construites, d'écoles coraniques, de centres culturels islamiques. Ce ne sont pas seulement des édifices religieux mais des enclaves qui ne s'assimileront pas si elles ne sont pas en phase avec les communautés locales. Il faut mener un dialogue des civilisations, pour que ces apports culturels deviennent une richesse pour la culture nationale. Sinon, les conflits viendront.
L'Église hors frontières a rétabli son unité avec votre Église. Qu'est-ce qui empêche un processus similaire entre vous et les paroisses orthodoxes de France restées sous la juridiction de Constantinople ?
Moi, je n'ai de désaccord avec personne ! Et mon devoir sera donc sur place d'appeler à surmonter ces problèmes. Quand, dans les années 1930, les paroisses orthodoxes d'Europe occidentale ont rompu avec l'autorité ecclésiale centrale à Moscou, il s'agissait d'éviter la pression du pouvoir athée. Ces raisons ont disparu. Pourtant, certains croyants restent effrayés par les ombres du passé. Mais ces incompréhensions s'effacent quand ils découvrent la vie de l'Église en Russie. Certains fidèles ont peut-être peur aussi que la manière de fonctionner des paroisses orthodoxes en Europe soit très différente de ce qu'elle est en Russie. Ce sont des peurs sans fondement. Car l'unité canonique ne présuppose pas l'uniformisation de toutes les pratiques de la vie religieuse.
C'est ce que vous direz aux évêques orthodoxes de France ?
Cette réunion me permettra d'exprimer ma joie de cette rencontre et mon désir d'unité. La mission de chaque responsable de l'Église orthodoxe est de renforcer l'unité de l'orthodoxie en Europe. Avant, seule la Grèce représentait l'orthodoxie dans l'Union européenne. Aujourd'hui, l'orthodoxie est également représentée par la Roumanie et la Bulgarie. Voilà pourquoi nous ne devons pas exhiber nos conflits à la face du monde, mais tenter de les résoudre.
Mais il existe une grande tension, illustrée par la dispute autour des églises de Nice et de Biarritz ?
Les médias exagèrent. La cathédrale de Nice, par exemple, est la propriété de l'État russe. Le bail arrive à son terme. Mais autant que je sache, la Fédération de la Russie est prête à discuter de sa prolongation. Ne dramatisons pas.
Qu'attendez-vous de votre rencontre avec Nicolas Sarkozy ?
Je serai heureux de le féliciter pour son élection et de lui dire notre souci de préserver les valeurs chrétiennes de l'Europe. Il en a parlé pendant sa campagne, j'en suis heureux.
Où en sont les relations entre l'Église et l'État en Russie ?
Les changements politiques depuis 1990 ont permis à notre Église de remplir ouvertement sa mission dans la société, malgré certaines difficultés dans notre dialogue avec l'État. Cela concerne l'opposition de certains bureaucrates à l'enseignement des religions dans les écoles. La question de la récupération par l'Église de nombreux biens confisqués n'a toujours pas été résolue.
Propos recueillis à Moscou par LAURE MANDEVILLE.
Le Figaro
Le Figaro
Publié le 01 octobre 2007
Actualisé le 01 octobre 2007 : 10h17
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