Par Andreï Baïkov, pour RIA Novosti
Un nouveau sommet Russie-UE se tiendra le 26 octobre au Portugal. Il serait erroné de juger de l'état des rapports russo-européens par ces rencontres devenues régulières. Le scénario de ces sommets d'automne est déterminé par le pays hôte qui, selon le principe de la présidence tournante, prend pour six mois les rênes de l'UE.
Quel sera cette fois le scénario proposé par l'UE? Contrastant avec l'intransigeance de Mme Merkel et sa passion pour la défense des droits de l'homme, le programme du Portugal présage moins de problèmes douloureux pour la Russie et davantage d'occasions de souligner les intérêts communs. Les priorités de Lisbonne - l'amélioration de la compétitivité économique de l'UE dans des domaines comme les affaires, le tourisme et l'enseignement - sont politiquement neutres et, par conséquent, conviennent à la Russie.
Il peut sembler que la conclusion du nouvel accord stratégique régissant les rapports entre la Russie et l'UE (quel que soit son nom définitif) est le problème clé. Il n'y a pas longtemps, on estimait que, puisque l'ancien accord expire en 2007, l'absence de document juridique serait une catastrophe, et que la Pologne qui bloque la conclusion d'un nouvel accord à cause d'un contentieux commercial avec la Russie paralysait les contacts entre les deux parties. Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, une issue a été trouvée: l'ancien accord a tout simplement été prorogé. Il s'avère que le potentiel de ce document reste en vigueur, alors qu'un nouvel accord aurait pu être pire, car il aurait pu pâtir de tous les problèmes existant entre les nouveaux membres de l'UE et la Russie, ce qui aurait empêché cette dernière de développer les contacts avec les "vieux" membres de l'Union européenne.
Bref, tout ne dépend pas de ce document et, quoi qu'il en soit, le sommet de Lisbonne se déroulera bien. Mais il est peu probable qu'il aborde les aspects profonds des rapports russo-européens qui ont des origines historiques, psychologiques et mythologiques.
Le fait est qu'à la différence des relations qu'entretient la Russie avec d'autres partenaires internationaux, les rapports avec Bruxelles ne reposent pas seulement (et, peut-être, pas tellement) sur le choix stratégique des élites ou sur la compréhension pragmatique des intérêts à court et à long terme. Ils ont à leur base la proximité culturelle et, c'est là l'essentiel, géographique, de plus d'une vingtaine ou même, si l'on tient compte de la composition multinationale de certains pays, de plus d'une centaine de peuples durant presque 15 siècles.
L'identité géopolitique de l'Europe a une particularité: l'absence de frontière à l'Est. Par exemple, l'appartenance de la Russie moderne (pour l'essentiel, au XIXe siècle) à l'Europe ne suscitait aucun doute, ni aucune objection. A cette époque-là, des dizaines de familles aristocratiques russes, y compris celle de l'empereur, étaient liées par alliance ou directement à toutes les monarchies de l'Europe. La Russie participait alors à part entière au "concert européen", analogue du G8 actuel.
Au milieu du XIXe siècle, c'est justement les intellectuels russes qui, on ne sait pourquoi, avaient inventé et propagé avec obstination l'idée d'une dissemblance irréparable entre les deux voisins naturels du point de vue du territoire et de la civilisation. Comme cela arrive souvent dans l'histoire, une pensée énoncée s'enracina alors solidement dans la conscience tant des Russes que, ce qui est bien pire, de leurs partenaires européens. Depuis, les manipulations de la "frontière est de l'Europe" sont devenues un instrument permanent de pression, principalement psychologique, sur la Russie.
A à l'apogée de la détente, au début des années 1970, les hommes politiques occidentaux avaient manipulé la formule "Europe de Vancouver à Vladivostok" dans le cadre du processus européen (CSCE-OSCE). Lorsque les rapports se détérioraient, l'interprétation territoriale de l'Europe se rétrécissait de nouveau, en s'arrêtant aux frontières de la Communauté économique européenne. La "maison européenne" de Mikhaïl Gorbatchev avait fait renaître pour une brève période la notion extensive de l'Europe en l'étendant au segment européen de l'espace soviétique et postsoviétique. A présent, on peut penser parfois que toute la stratégie d'élargissement de l'UE et la politique de "voisinage" qui en découle poursuivent l'objectif de refréner et de "dompter" psychologiquement la Russie.
Deux courants intellectuels luttent actuellement dans les médias et les milieux académiques. D'une part, on vise à séparer au maximum l'Europe de la Russie, la première ne comprenant que les pays faisant partie de l'UE et de l'OTAN, et de l'autre, on propose la conception d'une "Grande Europe", avec sa projection pratique: la mise en oeuvre du programme des quatre espaces communs.
Et c'est justement de cela dont on discute lors des sommets Russie-UE.
Les tendances économiques et démographiques favorisent objectivement le rapprochement entre la Russie et l'UE. Les deux tiers de la population de la Russie vivent dans sa partie européenne. Ils se considèrent comme des Européens et ont une formation à l'européenne. Pour eux, les pays européens sont plus accessibles physiquement que les régions de Russie situées au-delà de l'Oural. L'Europe représente plus de 50% dans le chiffre d'affaires du commerce extérieur de la Russie (51,6% en 2006). Les pays de l'UE prédominent dans les destinations touristiques des Russes. En 2006, sur environ six millions de touristes russes qui se sont rendus à l'étranger, 3,6 millions sont allés en Europe. Le nombre de programmes culturels et éducatifs ayant pour but de faire connaître aux habitants des pays européens et de la Russie les réalités et la vie quotidienne des uns et des autres s'accroît d'une année à l'autre. Les sociétés suggèrent en quelque sorte à leurs dirigeants d'améliorer la qualité des rapports et de les simplifier réellement (cela concerne, avant tout, les visas).
D'autre part, il y a les "émotions historiques" des nouveaux membres de l'UE (Lettonie, Estonie, Pologne), les stéréotypes des champions de la démocratie libérale réunis autour de leur "noyau" (la Grande-Bretagne), et les clichés de la rhétorique "droitdel'hommiste" au sein des institutions européennes quasi-représentatives (par exemple, le problème tchétchène à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe).
Cependant, l'idée des espaces communs, et, en fin de compte, l'idée plus essentielle d'un espace commun de coexistence et de rapprochement réel entre la Russie et l'Europe, n'est pas une fantaisie conjoncturelle. Sa réalisation a déjà connu des précédents dans l'histoire. Pour assurer aujourd'hui son succès, il faut que les hommes politiques comprennent enfin en quoi consiste leur intérêt commun et quels sont les axiomes de la coopération ultérieure.
Andreï Baïkov est chercheur au Centre d'études postsoviétiques du MGUIMO (Institut des relations internationales de Moscou).
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