Faute de pouvoir peser sur les intrigues du Kremlin, le peuple se réfugie dans la sphère privée.
« IlS NOUS PRENNENT pour des imbéciles ! » Andreï est en colère quand il apprend par la radio, lundi soir, la « grande » nouvelle qui crépite sur toutes les ondes. Devant le congrès des militants du parti présidentiel Russie Unie, qui applaudit à tout rompre comme au bon vieux temps du soviétisme, le président Vladimir Poutine, mine grave de circonstance, vient d'annoncer qu'il mènera la liste de cette formation aux élections législatives du 2 décembre. Il n'exclut pas de devenir, par la suite, premier ministre, « si un homme capable, juste et moderne » accède à la présidence. À la radio Écho de Moscou, en réaction à ce coup de théâtre, un débat aussi savant que confus s'engage pour savoir si Poutine mènera le pays vers une République parlementaire et en finira « avec l'hyperprésidentialisation du régime actuel ».
Ces interrogations qui masquent la vraie signification de la manoeuvre - à savoir que le plan de succession mis au point par Poutine a pour nom... Poutine - exaspèrent Andreï, un entrepreneur de 40 ans plein de bagout : « Le président n'a jamais eu l'intention de partir. Il cherchait juste un moyen d'emballer son affaire. » « C'est trop tard, dit-il, Poutine et ses amis, tous des anciens du KGB, ont pris les rênes du pays, ils ne laisseront personne le leur reprendre. » Andreï rappelle qu'en Russie, « on ne quitte ordinairement le pouvoir que les pieds devant ». Il donne l'exemple du maire de Moscou, Iouri Loujkov, que Vladimir Poutine a décidé de maintenir pour « une durée indéterminée », après avoir annulé les élections municipales directes. « La vérité, dit Andreï, c'est qu'on nous a volé notre droit de choisir. Nous n'avons aucune influence ! Je n'irai pas voter, pour ne pas participer à cette farce. Et tous mes amis feront de même, ils travaillent à gagner de l'argent, et c'est tout ! » Tandis qu'il parle, l'Écho de Moscou annonce que 90 % de ses auditeurs jugent « négativement » la décision du président.
Mais ce sondage express sur un segment très libéral de la société russe, le seul à écouter cette radio, n'apparaît pas très représentatif. Objet d'un culte de la personnalité soigneusement orchestré, le président reste la seule star d'une scène politique et médiatique, dont l'opposition a été quasiment bannie. « Les autres candidats n'apparaissant pas à la télévision, les gens ont l'impression qu'il n'y a pas d'alternative », explique le journaliste d'opposition Grigori Pasko.
C'est notamment le cas de Tatiana, ancienne ballerine du Bolchoï, qui promène sa fine silhouette rue Arbat. « Je respecte Poutine, il a apporté une certaine stabilité, il est normal qu'il veuille continuer son action », explique-t-elle. Le spectacle de la prospérité moscovite, avec ses rues soignées, remplies de galeries d'art, de salons de beauté et de boutiques à l'abondance presque baroque, semble lui donner raison. Un retraité aux cheveux argentés se dit « satisfait » de Poutine : « Il travaille pour le pays, pas comme ces gens au nom en »ski*, qui ont fui à l'étranger avec des fortunes volées. » « Moscou vit un nouvel âge d'or économique », avance le russologue américain Andrew Kuchins. Hier, l'indice phare de la Bourse de Moscou, le RTS, atteignait un nouveau record historique
« Démocratie contemplative »
Ces jugements agacent l'entrepreneur Andreï. Lui pense que la prospérité de Moscou « n'a rien à voir avec Poutine, mais avec le prix du pétrole ». « Pourquoi dit-on qu'il travaille pour le pays, alors qu'il place ses copains à tous les postes clés même s'ils n'ont aucune compétence ? Les gens ne comprennent-ils pas que le pays ne se développe pas, que l'agriculture est en déshérence et que si le prix du pétrole chute, le château de cartes poutinien s'effondrera ? »
Dans le minikiosque où elle cuit des petits pains à la compote de pommes, Olga, 47 ans, partage ce scepticisme. Elle est de Saratov, une ville de la Volga « qui survit à grand-peine ». Elle a migré à Moscou, car avec les 2 000 roubles (57 euros) qu'elle gagnait, elle ne s'en sortait pas, sa seule facture de gaz s'élevant à 1 000 roubles. « Je vis dans une pièce avec 11 personnes. Le soir quand je rentre, vers 23 heures, je m'effondre. Poutine ne m'a rien apporté. La vie est insupportable. Nous sommes sans droits.»Ils* ne nous entendent pas. »
Eux et nous. Le pouvoir et la société. Cette vieille distinction, qui traverse l'Histoire russe, a ressurgi avec force sous Poutine, après la parenthèse démocratique ratée des années 1980-1990. Le pouvoir apparaît à nouveau comme une boîte noire. De temps en temps, elle s'ouvre pour laisser surgir un « lapin politique » que la population regarde en spectatrice passive, résignée. Le russologue Alexeï Berelowitch parle « d'une démocratie contemplative ». L'opposant Garry Kasparov de « la dictature d'un parti unique ». « Je votais communiste, mais, cette fois, je n'irai pas voter, répète Olga. Car nous ne saurons jamais si les chiffres qu'»ils* annonceront sont vrais. »
Ces interrogations qui masquent la vraie signification de la manoeuvre - à savoir que le plan de succession mis au point par Poutine a pour nom... Poutine - exaspèrent Andreï, un entrepreneur de 40 ans plein de bagout : « Le président n'a jamais eu l'intention de partir. Il cherchait juste un moyen d'emballer son affaire. » « C'est trop tard, dit-il, Poutine et ses amis, tous des anciens du KGB, ont pris les rênes du pays, ils ne laisseront personne le leur reprendre. » Andreï rappelle qu'en Russie, « on ne quitte ordinairement le pouvoir que les pieds devant ». Il donne l'exemple du maire de Moscou, Iouri Loujkov, que Vladimir Poutine a décidé de maintenir pour « une durée indéterminée », après avoir annulé les élections municipales directes. « La vérité, dit Andreï, c'est qu'on nous a volé notre droit de choisir. Nous n'avons aucune influence ! Je n'irai pas voter, pour ne pas participer à cette farce. Et tous mes amis feront de même, ils travaillent à gagner de l'argent, et c'est tout ! » Tandis qu'il parle, l'Écho de Moscou annonce que 90 % de ses auditeurs jugent « négativement » la décision du président.
Mais ce sondage express sur un segment très libéral de la société russe, le seul à écouter cette radio, n'apparaît pas très représentatif. Objet d'un culte de la personnalité soigneusement orchestré, le président reste la seule star d'une scène politique et médiatique, dont l'opposition a été quasiment bannie. « Les autres candidats n'apparaissant pas à la télévision, les gens ont l'impression qu'il n'y a pas d'alternative », explique le journaliste d'opposition Grigori Pasko.
C'est notamment le cas de Tatiana, ancienne ballerine du Bolchoï, qui promène sa fine silhouette rue Arbat. « Je respecte Poutine, il a apporté une certaine stabilité, il est normal qu'il veuille continuer son action », explique-t-elle. Le spectacle de la prospérité moscovite, avec ses rues soignées, remplies de galeries d'art, de salons de beauté et de boutiques à l'abondance presque baroque, semble lui donner raison. Un retraité aux cheveux argentés se dit « satisfait » de Poutine : « Il travaille pour le pays, pas comme ces gens au nom en »ski*, qui ont fui à l'étranger avec des fortunes volées. » « Moscou vit un nouvel âge d'or économique », avance le russologue américain Andrew Kuchins. Hier, l'indice phare de la Bourse de Moscou, le RTS, atteignait un nouveau record historique
« Démocratie contemplative »
Ces jugements agacent l'entrepreneur Andreï. Lui pense que la prospérité de Moscou « n'a rien à voir avec Poutine, mais avec le prix du pétrole ». « Pourquoi dit-on qu'il travaille pour le pays, alors qu'il place ses copains à tous les postes clés même s'ils n'ont aucune compétence ? Les gens ne comprennent-ils pas que le pays ne se développe pas, que l'agriculture est en déshérence et que si le prix du pétrole chute, le château de cartes poutinien s'effondrera ? »
Dans le minikiosque où elle cuit des petits pains à la compote de pommes, Olga, 47 ans, partage ce scepticisme. Elle est de Saratov, une ville de la Volga « qui survit à grand-peine ». Elle a migré à Moscou, car avec les 2 000 roubles (57 euros) qu'elle gagnait, elle ne s'en sortait pas, sa seule facture de gaz s'élevant à 1 000 roubles. « Je vis dans une pièce avec 11 personnes. Le soir quand je rentre, vers 23 heures, je m'effondre. Poutine ne m'a rien apporté. La vie est insupportable. Nous sommes sans droits.»Ils* ne nous entendent pas. »
Eux et nous. Le pouvoir et la société. Cette vieille distinction, qui traverse l'Histoire russe, a ressurgi avec force sous Poutine, après la parenthèse démocratique ratée des années 1980-1990. Le pouvoir apparaît à nouveau comme une boîte noire. De temps en temps, elle s'ouvre pour laisser surgir un « lapin politique » que la population regarde en spectatrice passive, résignée. Le russologue Alexeï Berelowitch parle « d'une démocratie contemplative ». L'opposant Garry Kasparov de « la dictature d'un parti unique ». « Je votais communiste, mais, cette fois, je n'irai pas voter, répète Olga. Car nous ne saurons jamais si les chiffres qu'»ils* annonceront sont vrais. »
De notre envoyée spéciale à Moscou LAURE MANDEVILLE.
Publié le 03 octobre 2007
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