Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Au cours de sa visite de deux jours à Moscou, le président français Nicolas Sarkozy a reçu de son homologue russe ce que Vladimir Poutine avait reçu il n'y a pas longtemps de George W. Bush: le privilège d'exprimer un point de vue différent de celui de son interlocuteur, tout en restant en bons termes avec lui. Voici les propos les plus parlants de Nicolas Sarkozy à ce sujet: "La France veut vous comprendre. J'ai apprécié la fermeté de vos convictions. A mon avis, nous pouvons nous comprendre l'un l'autre, car j'ai aussi mes convictions". "L'amitié, c'est la possibilité pour les uns et des autres de dire ce qu'ils pensent" (propos retraduits du russe).
A vrai dire, l'amitié, même la sympathie entre les deux présidents étaient loin d'avoir été prévus à l'avance. En revanche, le succès de la rencontre à venir ne faisait aucun doute, autrement, comme cela arrive dans ce genre de cas, elle aurait été reportée "d'un commun accord". Les rapports entre la France et la Russie sont le résultat de multiples processus et événements auxquels participent des milliers de personnes. L'un des moments forts de la visite de M. Sarkozy a été l'invitation du prochain président russe à se rendre en 2008 au cosmodrome de Kourou (Guyane) pour assister au premier lancement d'un satellite européen par une fusée porteuse russe. Au chapitre des effets les plus marquants, il a également mentionné que les investisseurs français souhaitaient devenir actionnaires de Gazprom. On pourrait citer aussi les nombreux succès des hommes d'affaires français en Russie, dans les secteurs pharmaceutique et cosmétique, ou les projets de création de nouvelles versions cargo d'Airbus, et encore beaucoup d'autres choses.
Mais que dire alors de la thèse répandue selon laquelle Nicolas Sarkozy a réduit à l'état de ruines la politique étrangère de son prédécesseur Jacques Chirac, en renforçant les contacts avec les Etats-Unis, en préconisant l'indépendance du Kosovo et en occupant une position plus dure sur le problème nucléaire iranien? Que dire de l'affirmation selon laquelle tout cela jurerait avec la position de Moscou et que la politique étrangère russe, orpheline de son récent partenariat avec Berlin et Paris, aurait pris là un sérieux coup?
Moscou n'applique pas et n'a jamais appliqué une politique antiaméricaine, pas plus que Jacques Chirac et Gerhard Schröder. La situation était simplement différente: il y a quelques années, Russie, France et Allemagne et, en fait, toute la diplomatie internationale, concentraient leurs efforts en vue de contenir les actions militaires dévastatrices d'une Amérique bercée par les illusions de sa toute-puissance.
Aujourd'hui, le monde qui a changé a affaire à une Amérique qui a elle-aussi changé. Le géant affaibli et privé d'illusions doit être non pas contenu, mais soutenu, il faut l'aider à occuper une autre place dans la politique mondiale, parce que la politique mondiale a également changé: à présent, le monde est préoccupé non par la recherche de moyens de se soustraire aux actions brusques de Etats-Unis, mais par le comportement de nouvelles puissances qui prétendent elles-aussi à leur part de leadership.
C'est pourquoi il y a une grande différence entre un Nicolas Sarkozy tendant une main amicale aux Américains et l'hypothétique adhésion d'un Jacques Chirac à la guerre en Irak. Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine n'ont pas de divergences à ce sujet. Bien plus, selon des sources bien informées, les entretiens de Moscou ont prouvé qu'aucune querelle au sujet de l'Iran n'aurait lieu. Au contraire, la France qui a d'abord suivi l'appel de George W. Bush à participer à une "attaque psychologique" contre Téhéran est maintenant encline à suivre attentivement, pour quelque temps, les résultats de la Russie qui applique une politique tout à fait différente à l'égard de l'Iran. Elle attendra ainsi le bilan de la visite de Vladimir Poutine à Téhéran, qui aura lieu prochainement.
En ce qui concerne le Kosovo, il faut observer plus attentivement ce qui se produit en France, en Europe et en Russie. Le fait est que le problème du Kosovo, "marque de Caïn" de l'Europe, montre clairement que, bien que le vieux continent s'étende géographiquement jusqu'à l'Oural, en réalité, il y a deux Europes, dont la seconde n'est autre que la Russie, qui ne pourront probablement jamais se rejoindre complètement. Il suffit d'examiner attentivement l'évolution de Vladimir Poutine, en qui beaucoup voient un "occidentaliste" classique, et qui applique aujourd'hui une politique autonome russe, et non pas pro-européenne.
Lorsque l'opinion publique européenne se retrouva du côté de l'occupation rampante des terres serbes par une infiltration bien armée et que l'Europe, incapable de faire quoi que ce soit par elle-même, fut contrainte d'appeler à l'aide les bombardiers américains, cela ne manqua pas de choquer l'opinion russe, politisée ou non. L'Europe avait alors les traits, dans une version hypertrophiée, de la Pologne actuelle des frères Kaczynski, quelque chose de scandaleux, d'arrogant et de désagréable à la fois, mais, en principe, d'inoffensif. A présent, l'Europe est un peu moins bercée par ses valeurs et sa supériorité morale, mais, dans l'ensemble, elle a peu changé. Même en dehors du problème du Kosovo, les Européens ont encore beaucoup à faire pour se réhabiliter aux yeux de l'opinion russe.
Il est vrai, personne à Moscou n'attend beaucoup du président français nouvellement élu. Pour l'instant, on peut être satisfait de la coïncidence de son style avec celui du président Vladimir Poutine, qui dit à ses amis et partenaires ce qu'il pense, sans rien attendre d'autre de leur part.
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