mercredi 10 octobre 2007

Visite de Nicolas Sarkozy en Russie : que peut-on attendre du nouveau Président français ?

A l'occasion de la visite de Nicolas Sarkozy en Russie (les 9 et 10 octobre 2007), RIA Novosti a demandé à Daniel Vernet, directeur des questions internationales du quotidien le Monde et ancien correspondant de ce journal en Russie, de répondre aux questions des internautes russes. Ceux-ci ont été invités à interroger le journaliste français sur les relations franco-russes et les grands dossiers internationaux. Mais nombre des questions des internautes ayant également porté sur la Russie et son image donnée par la presse française, nous avons prié Daniel Vernet de s'exprimer aussi sur ce sujet.


Irina, Russia-ic - Comment la France d'aujourd'hui réagit-elle au fait d'avoir perdu la forte influence culturelle qu'elle exerçait sur la Russie au XIXe siècle ? La société russe s'est américanisée à la fin du XXe siècle, anglicisée au début du XXIe, si bien que plus de 80 % des jeunes parlent l'anglais et non le français. Cela signifie-t-il que la société française soit devenue moins ouverte à la société russe ?

Ce n'est pas une spécificité des relations entre la France et la Russie. Le français, pour diverses raisons, a perdu son influence dans beaucoup de pays du monde où c'était au XIXe siècle ou encore au début du XXe siècle la première langue, la langue des élites, des personnes éduquées, de la diplomatie. Ce n'est plus le cas, et le français est chassé par l'anglais, mais ce n'est pas propre à la Russie.

Achot Oganessian - La France a toujours été considérée comme un allié de la Russie en Occident, contrairement à l'Angleterre, par exemple. Si l'on se projette dans l'avenir, quelles seront les relations entre la Russie et la France dans quelques décennies ? La France de Nicolas Sarkozy peut-elle être l'alliée de la Russie d'aujourd'hui ?

Je crois qu'il y a eu un changement fondamental en Europe, d'abord en Europe occidentale, ensuite dans l'ensemble de l'Europe après la Deuxième Guerre mondiale et après la chute du mur de Berlin. Les pays occidentaux ne raisonnent plus en termes d'alliance entre Etats, de rapports de force entre les Etats, mais essaient plutôt de créer des ensembles plus larges dans lesquels les questions sont réglées non pas par des affrontements, voire des conflits militaires, comme c'était le cas au XIXe et au XXe siècles, mais par des principes de règlement légaux ou pacifiques des divergences d'intérêt. Je crois que pour la Russie, son avenir est de s'intégrer dans ce système, de ne plus penser la politique internationale en termes de rapports de force, de s'intégrer dans ce système régi par des lois, des principes.

Vladislav Finotchenko - Première question : dans quelle mesure la politique internationale plus "dure" de Nicolas Sarkozy est-elle conforme à l'amitié traditionnelle des relations franco-russes ? Deuxième question : quels facteurs de la politique mondiale peuvent, à votre avis, rapprocher les positions de Nicolas Sarkozy et de Vladimir Poutine ?

Sur la première question, je dirai que l'amitié entre la Russie et la France n'est pas mise en cause parce que Sarkozy emploie un langage plus direct, parfois plus ferme que son prédécesseur vis-à-vis de la Russie. Je pense au contraire que l'amitié s'accommode très bien de la franchise. Sur le deuxième point, il y a un certain nombre de sujets sur lesquels la France et la Russie doivent travailler ensemble : l'Iran, le Kosovo, le changement climatique, la situation au Moyen-Orient, l'Afrique aussi. Il y a beaucoup de sujets sur lesquels la France et la Russie doivent travailler ensemble. Il y a des sujets sur lesquels il y a des désaccords, d'autres sur lesquels il y a des accords plus spontanés. Je crois que l'essence de la diplomatie et des relations internationales est de trouver des terrains d'entente sur les sujets qui prêtent à des divergences d'opinion a priori.

Andreï Skoblev - Dans quelle mesure, selon vous, les relations amicales entre les chefs d'Etat peuvent-elles exercer et exercent une influence sur les relations entre les pays ?

Je crois, d'une part, que ces relations personnelles sont importantes, sont de plus en plus importantes. C'est lié, aussi, aux moyens de communication, à la télévision, etc., au fait que tout le monde, au même moment, vit les mêmes événements, et qu'il y a une espèce de peopolisation de la politique, y compris de la politique internationale. Donc les relations personnelles sont importantes parce qu'elles permettent, sans doute, quand elles sont bonnes, d'aborder franchement les problèmes qui fâchent. En même temps, il y a des intérêts fondamentaux, il y a des points de vue qui peuvent être différents, et ce n'est pas simplement des relations personnelles qui peuvent permettre de surmonter les divergences, il faut un véritable travail de fond.

Ekaterina - Depuis l'élection présidentielle en France, on a souvent entendu dire que Nicolas Sarkozy allait adopter, vis-à-vis de la Russie, des positions plus dures que celles de Jacques Chirac, ce qui risquait d'entraîner un certain refroidissement des relations entre les deux pays. Ces craintes vous semblent-elles justifiées ?

La question se divise en deux. Est-ce que Sarkozy va prendre des positions plus dures ? Je pense que la réponse est oui. Est-ce que cela devrait entraîner un refroidissement des relations ? Là, je pense que la réponse est non. Evidemment, cela dépend des deux interlocuteurs, cela dépend à la fois du Président russe comme du Président français. Mais je crois que le souci de Sarkozy c'est à la fois de dire les choses telles qu'il les pense, et quand il pense qu'il y a des critiques à adresser sur certains points à la politique russe, aussi à la politique intérieure qu'à la politique extérieure, je crois qu'il le fera avec beaucoup de franchise. Mais en même temps je pense qu'il le fera de manière à ne pas mettre en danger les bonnes relations entre la France et la Russie, et cela dépend aussi de la Russie et du Président russe d'accepter qu'on lui parle franchement et que la coopération n'en continue pas moins.

Ekaterina - Comment pourriez-vous caractériser l'évolution des relations franco-russes depuis que Vladimir Poutine est à la tête de l'Etat ?

Les relations ont été plutôt bonnes dans l'ensemble si l'on parle des relations officielles entre les gouvernements, entre les Présidents, et certainement le point culminant de l'entente entre la France et la Russie - il faudrait ajouter aussi l'Allemagne - le point culminant a été l'opposition commune de ces trois pays à la guerre en Irak. Maintenant, il faut parler aussi peut-être de la société française, parler peut-être aussi des milieux intellectuels français, des médias, qui sont de plus en plus critiques vis-à-vis de l'exercice du pouvoir en Russie, de la manière, plus exactement, dont Vladimir Poutine exerce le pouvoir en Russie.

Alexeï - Le développement des relations avec la Russie constitue-t-il une des priorités de la politique extérieure de Nicolas Sarkozy ?

Une des priorités, certainement. Parce que l'on est bien conscient, en France, et Sarkozy comme tous ses prédécesseurs, que la Russie est un facteur fondamental pour la solution des problèmes qui se posent en Europe et même au-delà, dans le monde, que ce soit en Afrique, que ce soit le problème du réchauffement climatique, que ce soit la question du Moyen-Orient. On pourrait citer beaucoup de sujets, beaucoup de dossiers, pour lesquels la coopération, le travail avec la Russie sont essentiels.

Alexeï - En quoi les politiques de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy sont-elles semblables ou différentes concernant la coopération avec la Russie ?

Je crois que, sur le fond, les politiques de Chirac et de Sarkozy seront assez semblables. Autrement dit, Sarkozy reconnaît l'importance essentielle de la Russie dans le système des relations internationales. La différence tient peut-être à deux points. D'une part, Sarkozy raisonne moins en termes de monde multipolaire, comme le faisait Chirac, monde multipolaire dans lequel les Etats-Unis seraient un pôle, l'Europe serait un autre pôle, la Russie un troisième, éventuellement la Chine ou l'Inde un quatrième ou un cinquième. Il raisonne moins en ces termes. Là, il y aura peut-être un changement. Le deuxième changement, c'est que Jacques Chirac, pour diverses raisons, s'est toujours gardé d'afficher une attitude critique vis-à-vis de la situation intérieure en Russie. Je crois au contraire que Sarkozy n'hésitera pas à dire ce qu'il pense à ce sujet.

Olga - A l'heure actuelle, quels sont, à votre avis, les moments les plus litigieux dans les relations entre la Russie et la France ?

Je dirais qu'il y en a deux points, essentiellement. Le premier, qui est un sujet de politique internationale, c'est l'Iran. Je ne dirai pas qu'il y a un litige entre la Russie et la France. Il y a des divergences d'opinion. La France est actuellement en faveur de sanctions beaucoup plus dures vis-à-vis de l'Iran, pour faire en sorte que l'Iran accepte de renoncer au nucléaire militaire, et il semble que la Russie s'en tienne, pour le moment en tous cas, aux sanctions qui ont déjà été décidées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et qui paraissent insuffisantes à la France.

Nastia - Le Kosovo, l'Iran et les droits de l'homme : autant de sujets sur lesquels la Russie et la France ne parviennent pas à s'entendre. Pensez-vous que des ententes de principe puissent intervenir sur ces questions lors de la visite de Nicolas Sarkozy ?

J'ai parlé de l'Iran. Effectivement, il y a aussi le Kosovo, c'est important de le mentionner. Là aussi, il y a une divergence fondamentale d'opinions. Est-ce que la visite de Sarkozy suffira pour rapprocher les points de vue ? Personnellement, j'ai quelques doutes, parce que les positions sont vraiment extrêmement tranchées. Je crois que le souci du gouvernement français aujourd'hui est d'empêcher que la question du Kosovo divise profondément à la fois la France et la Russie, mais divise aussi profondément les Européens. Donc il faudra trouver une solution. Sans doute, du point de vue français, la solution au Kosovo, c'est l'indépendance du Kosovo sous surveillance internationale. Ca, c'est très important, sous surveillance internationale. Il ne faudrait pas, en tous cas c'est le souhait du gouvernement français, que cette indépendance du Kosovo provoque des déchirements en Europe, ou des déchirements entre la France et la Russie.

Elena Zadorojniaïa - Etes-vous en relations avec vos confrères russes ? Lisez-vous la presse russe ? Que pensez-vous du niveau de liberté de la presse en Russie ?

J'ai des contacts avec mes confrères russes. Malheureusement, je ne lis pas, ou je ne lis plus la presse russe pour deux raisons. D'abord par manque de temps et ensuite sans doute par manque de connaissance. Mais le manque de connaissance vient sans doute du fait que je ne la lis pas. L'évolution de ces dernières années est préoccupante. Il reste des îlots de liberté de la presse en Russie. Certainement que la situation n'est pas comparable à ce qu'elle était avant le début des années 90, mais pour la télévision, pour les médias audiovisuels, la tendance est préoccupante, car il me semble que c'est une tendance à une reprise en mains par le pouvoir des médias.

Andreï Koblev - L'extrémisme ethnique est devenu un problème d'actualité ces dernières années dans les grandes villes russes. Paris a déjà fait la triste expérience de conflits ethniques destructeurs. Quelles leçons pour elle-même la Russie peut-elle tirer de cette expérience française ?

C'est une question extrêmement difficile, extrêmement complexe à laquelle il est pratiquement impossible de répondre en deux phrases. Je crois d'abord qu'il n'est pas tout à fait exact de parler de conflit ethnique dans les banlieues françaises. C'est plus compliqué. C'est un mélange de conflits sociaux, de conflits religieux, de conflits de générations, de conflits urbains, je veux dire entre les banlieues et le centre des villes. Donc, c'est extrêmement complexe. Je crois que ça pose de manière plus générale, et c'est peut-être ça aussi la question pour la Russie, la question de l'intégration de populations qui n'ont pas a priori la même culture, les mêmes traditions, les mêmes principes de vie en société. C'est la question de la capacité des sociétés qui accueillent ces immigrants de les intégrer. Si nos sociétés sont incapables de les intégrer, effectivement, on va vers des conflits du type de ceux que l'on a connus dans les banlieues françaises.

Inna - Que prévoient les experts français concernant l'avenir de la Russie après l'élection présidentielle de 2008 ? Existe-t-il une opinion prédominante ?

Alors là, je répondrai par une pirouette. Je dirai que les experts français n'ont pas plus de lumières que les experts russes...

Anatoli - Vous avez été correspondant du Monde à Moscou, vous êtes resté longtemps en Russie. Quel regard portez-vous sur les changements intervenus en Russie depuis cette époque ? Qu'est-ce que vous aimeriez voir encore en Russie ?

Le regard que je porte sur les changements, c'est évidemment d'abord un regard sympathique, et ensuite un regard d'une certaine façon un peu émerveillé des changements, et de la rapidité des changements qui ont transformé la Russie. Maintenant, j'aimerais que la Russie avance vers deux choses : une véritable démocratie, où la liberté individuelle soit un des principes fondamentaux, et deuxièmement, que la prospérité relative qui est aujourd'hui largement liée aux recettes tirées des ressources énergétiques soit mieux distribuée et profite à tout le monde.

Nikolaï - Comment pourriez-vous caractériser d'une phrase les premiers mois de présidence de Nicolas Sarkozy ?

Beaucoup d'activité, et presque d'activisme.

Rouslan Olgienko - Partagez-vous la position du Président Sarkozy concernant la Turquie ?

Non, parce que je pense que sa position est beaucoup trop rigide. Cela fait plus de 40 ans que l'on a laissé entendre aux Turcs qu'ils auraient la possibilité d'entrer dans ce que l'on appelait à l'époque la Communauté européenne, dans l'Union européenne. Bien sûr, à condition qu'ils remplissent les critères d'entrée. Et je crois que maintenant, il faut leur dire que s'ils remplissent les critères, et ils font des efforts en ce moment pour tenter de remplir ces critères, s'ils remplissent les critères, ils ont le droit d'être membres de l'Union européenne. Je crois que ce serait d'une certaine façon malhonnête et dangereux politiquement de leur dire : et bien oui, vous remplissez les critères, mais désolés, ne veut pas de vous.

Elena - Quelles sont, à votre avis, les priorités de la politique extérieure française à l'heure actuelle ?

Il y a plusieurs priorités. J'en citerai trois. Il y a la politique européenne. Mais on peut discuter, et on discute en France et dans les pays de l'Union européenne pour savoir si la politique européenne, au sens de l'Union européenne, c'est de la politique extérieure ou bien de la politique intérieure. En tous cas, la politique européenne a relancé l'Union européenne après l'échec de la Constitution. Deuxièmement, Sarkozy est très intéressé, très préoccupé par la rive sud de la Méditerranée, d'où sa proposition d'Union méditerranéenne. Mais on ne sait pas très bien quels sont les contours de cette union. Et troisièmement, parmi les priorités plus immédiates, l'Iran.

Nastia - Les Occidentaux reprochent souvent aux autorités russes une absence de liberté de la presse, les accusent de pressions. La presse française a récemment révélé que des hommes de l'entourage de Nicolas Sarkozy "faisaient main basse" sur de grandes maisons d'édition, influençaient la politique rédactionnelle de tel ou tel organe de presse dépendant. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

L'expression main basse sur la presse me paraît excessive. Ce qui est vrai, c'est que Nicolas Sarkozy a parmi ses amis, ses amis proches, un certain nombre de patrons de presse - presse audiovisuelle et presse écrite - et il est vrai aussi que, avant même d'être Président, quand il était ministre de l'Intérieur, il a exercé des pressions, en tous cas il est intervenu auprès de ses amis pour que tel ou tel article concernant sa vie personnelle ne soit pas publié, ou il a protesté quand certains articles étaient publiés. Mais ce ne sont pas des pressions qui concernent la politique gouvernementale, et éventuellement les critiques que les journaux pourraient faire de la politique du gouvernement. Et il faut noter aussi que les journalistes ne se laissent pas faire en général, se rebellent contre ce genre de pressions. Et quand ces pressions sont connues, sont rendues publiques, c'est contre-productif pour celui qui les a exercées.

Svetlana - Le ministre français de la Défense a récemment déclaré que la France soutiendrait l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

Je ne suis pas au courant de cette déclaration. Je ne suis pas absolument sûr que le ministre de la Défense ait fait une déclaration aussi claire, aussi nette. Je crois plutôt que la position française officielle est extrêmement prudente à ce sujet.

Yaroslav Boïko - La France est le pays de l'Union européenne qui adopte la position la plus dure vis-à-vis du nucléaire iranien et elle appelle l'Occident à faire la guerre à l'Iran. Pensez-vous qu'une opération militaire soit justifiée dans le cas présent, ne va-t-on pas répéter l'histoire des armes de destruction massive mythiques de l'Irak, qui n'ont jamais été trouvées mais qui ont permis aux sociétés occidentales de se partager les réserves pétrolières ? Cela ne conduira-t-il pas à accentuer encore le schisme entre les civilisations, ne provoquera-t-il pas une flambée de terrorisme en réponse ?

La question est très longue, comporte beaucoup d'éléments. Mais le premier élément, le présupposé que la France est en faveur d'une militaire contre l'Iran, ce présupposé n'est pas exact. Au contraire, les déclarations officielles françaises vont dans le sens d'un refus, en tous cas d'une crainte et d'un refus d'une action militaire. Si la France est favorable à des sanctions contre l'Iran, et même à l'avant-garde pour leur durcissement, c'est pour essayer d'amener l'Iran à renoncer au nucléaire militaire par d'autres moyens que par la force. C'est parce que la France est inquiète que certains milieux américains pourraient recourir à des moyens militaires contre l'Iran qu'elle est en faveur de sanctions aggravées. Tout le monde est bien conscient, et ça, c'est la suite de la question posée, tout le monde est bien conscient des conséquences catastrophiques qu'une action militaire contre l'Iran aurait dans tout le Moyen-Orient, et même au-delà du Moyen-Orient. Je crois que la France est fondamentalement hostile à une telle action, et inquiète qu'une telle action puisse avoir lieu et va essayer de tout faire pour utiliser d'autres moyens afin d'arriver à un accord avec les Iraniens.

Alexandre Meremianine - Que pensez-vous de l'idée répandue selon laquelle la presse occidentale "indépendante", la presse française tout particulièrement, serait encline à publier des articles à sensation, retenant au maximum l'attention, et déformerait par là même le tableau réel de ce qui se passe en Russie. Si bien qu'une toile de fond globalement négative par rapport à la Russie se tisserait, faisant penser à une guerre de l'information intentionnelle. Alors que, depuis l'effondrement de l'Union Soviétique, la Russie s'est efforcée de se mettre en tout au niveau de l'Occident, ce dernier conduit en réponse une campagne ouvertement anti-russe. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

D'abord que ce n'est pas seulement la presse française ou la presse occidentale. Je dirai que tous les organes de presse qui doivent vendre des journaux, ou de l'audience quand c'est la télévision, ont tendance à chercher des nouvelles sensationnelles. On peut le regretter, mais c'est comme ça. Deuxièmement, je suis absolument hostile à l'idée, je ne comprends pas l'idée selon laquelle il y aurait une campagne antirusse dans la presse, et en particulier dans la presse française. Ce n'est pas absolument pas le cas. Ce qui est vrai, c'est que la presse française en général - il y a peut-être des exceptions - est critique, plutôt critique, assez critique, parfois très critique vis-à-vis de l'évolution politique de la Russie. Elle est souvent très critique par rapport à des méthodes de gestion économique en Russie, bref il y a beaucoup de sujets qui sont l'objet de critiques. Mais de là à parler d'une campagne antirusse, je ne suis absolument pas d'accord.

Alexandre Ovetchkine - Quelle suite sera donnée à la politique d'élimination de la "fracture sociale" dans la société française, lancée par Nicolas Sarkozy alors qu'il était ministre de l'Intérieur ? Est-il possible, étant donné la situation actuelle en matière d'immigration, de résoudre ce problème d'une manière générale sans meetings et manifestations, non seulement en France mais aussi dans l'ensemble de l'Union européenne ?

La fracture sociale, c'est une idée non pas de Sarkozy, mais de Chirac. C'est en 1995, lors de l'élection présidentielle de 1995, que Chirac s'est promis de lutter contre la fracture sociale. Il n'a pas complètement réussi, mais c'était une promesse de Chirac. Deuxièmement, cette fracture sociale ne concerne pas seulement, et peut-être même pas en priorité les immigrés. Les problèmes sociaux que rencontre une grande partie des Français touchent des ouvriers, des employés, des salariés qui perdent leur emploi parce que des entreprises ferment, qui sont au chômage de longue durée, etc., et donc qui ne sont pas tous des immigrés. Ce qui est vrai, c'est que la proportion de chômage parmi les immigrés est plus forte que, comme on dit, chez les Français d'origine : elle est plus forte chez les jeunes que chez les personnes plus âgées, chez les jeunes d'origine immigrée que chez les jeunes d'origine française, etc. Mais la fracture sociale est plus générale que simplement une division entre les immigrés et les Français de souche. D'autre part, la politique de Sarkozy est fondée sur un postulat, à savoir que si on libère le marché du travail, si on met plus de flexibilité, si on encourage les investissements, si on encourage les gens à travailler en desserrant un peu les contraintes sociales, y compris les avantages sociaux que les Français ont acquis depuis une cinquantaine ou une soixantaine d'années, et bien on pourra lutter contre le chômage et donc contre la fracture sociale. C'est un peu un pari, je ne sais s'il sera gagné.

Anna Apatenko - Quels sont thèmes de politique extérieure et intérieure qui retiennent le plus l'attention de la société française ?

Les thèmes de politique intérieure, je crois que c'est la question économique, la question du chômage, la question de la croissance, la question de l'augmentation des salaires, ou plus précisément actuellement la question de la stagnation des salaires et du pouvoir d'achat. Je crois que c'est ça la préoccupation principale. En ce qui concerne la vie internationale, c'est difficile à dire, mais je citerai peut-être au premier plan la crainte du terrorisme avec ce qui est lié, c'est-à-dire la situation au Proche-Orient et dans le monde arabo-musulman.


Daniel Vernet est directeur des relations internationales du journal Le Monde. Il a été correspondant en Allemagne, en URSS et en Grande-Bretagne, avant d'être directeur de la rédaction. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont La Renaissance allemande, URSS, Le Rêve sacrifié : Chronique des guerres yougoslaves et L'Amérique messianique : Les guerres des néo-conservateurs.

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