Entretien avec Pavel Chinsky, directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie française en Fédération de Russie
Né en 1974 à Moscou, Pavel Chinsky est diplômé de l'Ecole normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud et titulaire d'une maîtrise d'histoire à l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Professeur à l'université Charles-de-Gaulle Lille III, auteur de deux ouvrages et de plusieurs publications dans la presse, il a dirigé la collection "Domaine russe" au Cherche Midi Editeur, à Paris. M. Chinsky consulte depuis 2003 des chefs d'entreprise français désireux de s'établir en Russie et préside depuis le 1er juin 2007 la Chambre de commerce et d'industrie française en Fédération de Russie.
Q: M. Chinsky, la Chambre de commerce et d'industrie française en Russie vient juste d'être créée alors qu'un club patronal existe depuis dix ans. Pourquoi les entreprises françaises ont-elles eu besoin d'un tel organisme à Moscou?
R: A une certaine étape du développement des contacts économiques entre la Russie et la France, les entreprises françaises ont compris la nécessité d'avoir dans la capitale russe un organisme de référence susceptible de les aider à résoudre les très nombreux problèmes issus des contacts avec la bureaucratie russe. Comme l'a fait remarquer l'ambassadeur de France en Russie, Stanislas Lefebvre de Laboulaye, nous assistons à une nette croissance des échanges russo-français et nous voyons que de plus en plus d'entreprises françaises souhaitent s'implanter d'une manière ou d'une autre sur le marché russe. "S'implanter" est un terme très important que les diplomates emploient très rarement et qui revêt un sens très significatif. Travailler en Russie est très intéressant, mais aussi très difficile. Dans le même temps, la France est aujourd'hui le septième plus grand investisseur dans l'économie russe. A la mi-2007, le volume des investissements français s'est élevé à 6,6 milliards de dollars américains. En 2006, le chiffre d'affaires des échanges bilatéraux a nettement progressé pour atteindre environ 15 milliards d'euros, contre 11,5 milliards en 2005. Les exportations françaises ont progressé de 40%, et les exportations russes de 24%.
Q: Quels sont les problèmes qui se posent à ceux qui souhaitent s'implanter en Russie?
R: Nous comptons parmi nos membres 170 compagnies françaises enregistrées en Russie. Ce n'est qu'un chiffre, mais vous ne pouvez pas imaginer combien d'efforts il faut concentrer pour aider une société à fonctionner à plein rendement.
Nous cherchons à aplanir les barrières administratives. Nos membres ont besoin d'une assistance pour obtenir des visas d'affaires ou pour se faire enregistrer comme personnes physiques. Pour ceux qui se trouvent en Russie depuis peu et subissent une sorte de "choc culturel", nous proposons des formations sur la gestion d'entreprise en Russie pour offrir ce que nous appelons un "atterrissage en douceur". Nous expliquons à nos membres que le succès d'une entreprise en Russie ne dépend pas de la corruption mais des conditions proposées aux partenaires russes.
Par ailleurs, nous avons beaucoup oeuvré pour établir des contacts avec la mairie de Moscou. Lors d'une rencontre récente avec le maire Iouri Loujkov, ce dernier a constaté à juste titre qu'il voyait des perspectives d'élargissement de la participation étrangère sur le marché pharmaceutique, dans la production et la distribution de produits pharmaceutiques de qualité et dans le secteur du logement. C'est dans ces domaines que les entreprises françaises ont de très fortes chances.
Q: Le maire de Moscou est-il au courant de vos difficultés?
R: Nous avons évoqué avec lui plusieurs problèmes délicats. Il n'était pas toujours d'accord. Quand on l'interrogeait sur les perspectives de baisse du loyer commercial à Moscou, M. Loujkov répondait que tous le monde n'avait pas besoin de louer un bureau rue Tverskaïa, la principale artère du centre-ville.
En revanche, pour ce qui concerne les examens médicaux imposés à tous les étrangers, il a ordonné d'en modifier les modalités. Le problème est que les autorités russes exigent que chaque nouveau venu passe non seulement des tests VIH, mais aussi des tests diagnostiques de la lèpre et même de la peste. Au départ, il fallait se rendre à trois endroits différents pour subir ces analyses. La procédure n'était pas des plus agréables: qu'il s'agisse d'un directeur général, d'un directeur financier ou d'un garçon de bureau, tous devaient faire la même queue, en sous-vêtements, afin de passer les tests. M. Loujkov a avoué que cette pratique nécessitait des améliorations. Aujourd'hui, au lieu de se rendre dans trois cliniques différentes, il est possible de passer tous ces tests dans une seule clinique au choix.
Q: Quels sont, selon vous, les points forts des entreprises françaises?
R: C'est sans doute leur capacité à réagir vite face à l'apparition de conditions favorables aux affaires. Prenez l'exemple d'Auchan. Les hypermarchés Auchan font partie des plus populaires de Moscou, et on en trouve depuis peu à Nijni Novgorod, Ekaterinbourg et Saint-Pétersbourg. En Russie, le premier magasin de cette marque a ouvert en 2002. En 2005, la compagnie Auchan Russia a été reconnue comme étant le plus grand réseau d'hypermarchés dans le pays.
On peut citer d'autres exemples. La Russie connaît un boom de l'immobilier, l'objectif étant de construire 1 mètre carré de logements par personne tous les ans, alors que les infrastructures connexes sont insuffisantes. Les équipements collectifs sont souvent surchargés. Le seul moyen de s'en sortir est d'abandonner les normes soviétiques et de construire à l'occidentale, autrement dit par blocs indépendants. Les compagnies françaises telles que Veolia, Vinci et Alstom offrent des savoir-faire compétents. Les nouveaux quartiers ont besoin de technologies modernes économes en énergie, d'un nouveau combustible écologique, et c'est là que les capacités innovantes des compagnies françaises peuvent être utiles.
Les compagnies françaises s'implantent activement dans la province et souvent avec succès. En voici quelques exemples: Bonduelle a ouvert une usine dans le territoire de Krasnodar, Air Liquide en a lancé une autre à Tcherepovets. Une usine Danone fonctionne depuis plus de dix ans à Togliatti, Schneider Electric envisage d'en construire une au Tatarstan, et Lafarge a décidé de s'implanter à Krasnodar et dans les régions de Kalouga et de Sverdlovsk.
Q: Des top-managers russes sont-ils invités à travailler dans les compagnies françaises?
R: En Russie, il est désormais plus avantageux d'inviter un Français qu'un Russe, même en lui payant l'appartement, l'assurance, la voiture et le déménagement de sa famille. Plusieurs responsables de compagnies françaises sont même passés dans des structures russes. Le directeur général d'Auchan en Russie a récemment été embauché par le réseau de distribution pétersbourgeois O'Kay. Le montant des salaires que peuvent proposer des employeurs russes est de plus en plus souvent supérieur aux possibilités des compagnies françaises.
Q: Etes-vous soutenu par les autorités françaises dans votre travail?
R: Notre Chambre participe au programme "Hautes technologies françaises" du gouvernement français. Pour ce programme, le ministère français des Finances a élaboré une liste de cinq pays prioritaires, parmi lesquels se trouve la Russie. L'objectif du programme est d'augmenter les exportations de produits d'innovation et de présenter la France comme un pays maîtrisant les technologies de pointe. La moitié du budget est versé par le gouvernement français, le reste est apporté par des membres intéressés de notre Chambre. La manifestation que nous organisons au mois de décembre dans cette optique est une exposition de design industriel qui doit présenter les acquis du design français: des sacs à dos aux voitures en passant par les accessoires de ski et les couverts de table. Lors d'une table ronde programmée dans le cadre de l'exposition, nous expliquerons comment le design industriel peut promouvoir de nouvelles marchandises sur les nouveaux marchés.
Q: Pour conclure, je voudrais connaître votre avis personnel sur les perspectives de développement des relations économiques russo-françaises.
R: Pour moi, l'évolution positive du marché russe se traduit par l'arrivée de "poids-lourds" tels que Carrefour qui s'est implanté sur le marché russe il y a trois mois. Il s'agit du deuxième acteur du marché mondial des hypermarchés. Je vois que beaucoup d'entreprises ont appris à travailler efficacement en Russie. Dans ce pays, en effet, on peut passer toute une journée à attendre un fonctionnaire et partir sans obtenir la signature pour son document, mais le jeu en vaut la chandelle. Tous les obstacles qui peuvent décourager constituent en même temps une épreuve de solidité. Il faut accepter de laisser une partie de soi-même dans ce pays, et les gens qui y sont prêts ne quittent plus jamais la Russie.
Propos recueillis par Alexandre Pozdniakov, RIA Novosti.
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