par l’ancien président Ibrahim Rugova lors des élections kosovares. Crédits photo : AFP
Pour garder coûte que coûte le Kosovo qui renouvelle aujourd’hui son Parlement, les Serbes s’en remettent à Vladimir Poutine.
De notre envoyée spéciale à Belgrade
Au nord du Kosovo, dans sa partie serbe, les portraits des criminels de guerre Mladic et Karadzic, deux inculpés vedettes du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, accusés de génocide, ne sont plus en vogue. Ils ont été remplacés par des posters du président Poutine, dont on fait semblant de croire qu’il va sauver les Serbes de l’indépendance du Kosovo.
Avec l’approche du 10 décembre, dernière date butoir pour trouver un compromis entre les indépendantistes albanais et les autorités serbes, le Kosovo pousse la Serbie dans les bras musclés de la grande Russie. Et certains, comme Marko Jaksic, un membre de l’équipe de négociations sur le Kosovo, proche du premier ministre Vojislav Kostunica, vont jusqu’à affirmer que, si Washington et les capitales européennes reconnaissent l’indépendance du Kosovo, si celle-ci était proclamée unilatéralement, des bases russes seront installées en Serbie…
Cartes puissantes
À Belgrade comme à Mitrovica, il n’y en a plus que pour le «grand frère», slave et orthodoxe comme la Serbie. «Pendant les bombardements de l’Otan, en 1999, le seul pays qui nous a soutenus, c’est la Russie» rappelle Milivoje Mihailovic, membre du gouvernement. Il se félicite de ce que la menace de veto brandie par Moscou pour empêcher une résolution sur l’indépendance au Conseil de sécurité de l’ONU a déjà permis de «ralentir la marche de l’indépendance» de la province. En affaiblissant la détermination des États-Unis et en exploitant les divisions au sein de l’Union européenne, la pression de Moscou, espèrent les Serbes, empêchera l’indépendance ou, au moins, la retardera.
Pour faire plier la communauté internationale, qui paraissait pourtant déterminée, la Russie de Poutine a des cartes puissantes, qui servent ses intérêts. Une volonté affirmée de faire renaître la puissance russe. Un trésor, sa richesse gazière, dont dépend une partie de l’Europe et aussi la Serbie, et qui s’accommode fort bien de la montée des prix du pétrole. Enfin, une arrière-pensée politique : l’effet domino que pourrait avoir, pour le meilleur ou pour le pire, l’indépendance du Kosovo sur les nombreux conflits gelés de l’ancien espace soviétique.
Mais dans la nouvelle Russie capitaliste, le soutien a un prix. Économique d’abord (lire encadré ci-dessous). Politique ensuite : le pouvoir russe veut utiliser la Serbie pour bloquer l’extension de l’Otan à l’Est et répondre au projet de bouclier antimissile de l’administration américaine à l’est de l’Europe. Le premier ministre Kostunica ne s’est pas fait prier pour donner un coup de frein au rapprochement avec l’Otan. «La Russie est notre partenaire stratégique, elle investit dans notre économie. Ce serait un non-sens d’avoir une politique antirusse. Mais, de toute façon, nos intérêts politiques convergent : nous sommes contre l’Otan depuis les bombardements de 1999», explique Dusan Prorokovic, secrétaire d’État au ministère du Kosovo.
«Troisième voie»
Le premier ministre serbe évoque désormais, pour son pays, l’idée d’une «troisième voie» entre l’Est et l’Ouest. Comme au temps de Tito et de la guerre froide, où la Yougoslavie était un tampon entre les deux blocs. Le modèle cubain a été encensé au Parlement, tandis que les responsables politiques citent volontiers l’exemple de l’Autriche, pays européen non membre de l’Otan. «Cette hésitation entre l’Est et l’Ouest fait partie du problème serbe depuis le XIVe siècle. Nous sommes, dans les Balkans, au cœur de toutes les influences, religieuses, culturelles et géopolitiques», commente Dragoljub Zarkovic, le directeur du magazine Vreme. Mais d’autres redoutent que cet éloignement vis-à-vis de l’Otan en appelle un autre. «J’ai peur que l’élite politique serbe fasse capoter l’entrée dans l’Union européenne. Notre premier ministre est très russophile, et sa philosophie est antieuropéenne», explique l’économiste Misa Brkic.
Il s’inquiète de ce que la Serbie tombe dans la sphère d’influence de la Russie, qui dans l’histoire ne s’est pourtant pas montrée un allié très solide : «Pour prouver qu’ils sont à nouveau une puissance économique et politique, les Russes nous utilisent comme une base pour avancer leurs pions en Europe et sur la scène internationale.»
Certains analystes estiment pourtant que ce projet est voué à l’échec. « Les Balkans sont l’endroit idéal pour rejouer la comédie de la guerre froide. Mais Poutine n’est pas prêt à envoyer des troupes pour empêcher l’indépendance du Kosovo», rassure Duse Janic, un expert indépendant sur le Kosovo. À Belgrade, les hommes politiques confient parfois, en privé, que la messe est déjà dite et que le soutien de Moscou sera insuffisant pour empêcher la déclaration d’indépendance unilatérale du Kosovo. «Quant à la Serbie, elle n’est sans doute pas assez forte aujourd’hui pour être neutre. Mais lorsqu’on cherche quelqu’un pour faire une traduction en russe, on ne trouve personne. Et il n’y a pas de banque russe à Belgrade », rappelle Dragoljub Zarkovic.
Mais, comme le dit un observateur européen, «Les Russes ont remarquablement bien joué. Si le Kosovo est indépendant, ils utiliseront le précédent pour certaines républiques sécessionnistes de l’ancien espace soviétique, comme l’Abkhazie. Et s’il y a un compromis, ils diront qu’ils avaient eu raison de s’opposer à l’indépendance et qu’un accord était possible. Ils sont gagnants dans tous les cas. La question est de savoir ce qu’ils comptent faire de cette influence en Europe.»
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