vendredi 16 novembre 2007

Ossétie du Sud, un puzzle toujours éclaté

Il fait bon dans son jardin. Malgré ses 80 ans, Roman Tskhabrebov taille avec dextérité les vignes qui grimpent au-dessus de son patio. Le soleil est inattendu, généreux. L'odeur des raisins emplit l'air ; parfois, les mauvais jours où il vaut mieux se terrer à l'intérieur, elle est chassée par celle de la poudre.

La demeure de M. Tskhabrebov ressemble à celles des voisins : décorée par les impacts de balles. Elle est située sur l'artère qui symbolise tous les maux de l'Ossétie du Sud, la province séparatiste de la Géorgie où la Russie pèse de tout son poids, comme en Abkhazie. Cette route relie le village de Gori, nouveau siège de l'administration géorgienne, à Tskhinvali, la capitale de l'Ossétie du Sud, dirigée par le "président" Edouard Kokoïty. "Les gens sont devenus fous !, déclare le vieil homme. Avant, on vivait tous ensemble, on partageait les joies et les peines. Maintenant, ils ne s'aiment plus, ne se parlent plus, mais se tirent dessus."

En sortant de la maison, on a le choix : à 100 mètres à gauche se trouve le poste de contrôle de la force de paix russe ; à 100 mètres sur la droite, celui de la force de paix géorgienne. Un décor de frontière, mais nulle frontière n'existe. Mise en place en juin 1992, après un an de guerre entre Géorgiens et Ossètes, la force "commune" de maintien de la paix est censée veiller à la démilitarisation de la zone de conflit. Il n'en est rien. La tension est toujours aussi vive. Les incidents se multiplient dans la province, devenue un enjeu entre la Géorgie, qui défend son intégrité territoriale, et la Russie, pas mécontente de déstabiliser son ancien vassal émancipé.

Près de 90 % des Ossètes ont un passeport russe. La quasi-totalité du petit budget des autorités séparatistes vient de Moscou. Gazprom est en train de construire un gazoduc à travers la montagne afin que Tskhinvali ne dépende plus de la Géorgie. L'Ossétie du Sud est un minuscule territoire très montagneux (3 900 km², environ 70 000 habitants), où les villages sous contrôle géorgien ou ossète se succèdent, obligeant les voyageurs à des détours invraisemblables. Tbilissi prétend contrôler 50 % du territoire de la province et 40 % de sa population.

Pour comprendre l'imbroglio, il suffit de se pencher sur le capot de la voiture de Mamuka Karachvili, le commandant de la force de paix géorgienne. Son index dessine dans la poussière les grands axes de circulation de la province. Pas une ligne droite ; mieux vaut ne pas être pressé, surtout l'hiver et les jours où surviennent des accrochages. "Nous faisons face à deux ou trois provocations en moyenne par mois de la part de groupes armés, explique-t-il. On les dérange dans leurs trafics d'essence, de cigarettes ou de caviar." La veille encore, des coups de feu ont été tirés dans un faubourg de Tskhinvali. Les autorités géorgiennes ont cherché à se renseigner sur l'origine des incidents. En vain.

A Gori, le chef de l'administration géorgienne, Dmitri Sanakoïev, un ancien ministre de Kokoïty rallié à Tbilissi après 2004, regrette que la démilitarisation conduite par la force de paix ait été interrompue, après l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Saakachvili. "Sa victoire n'a pas plu aux Russes, dit-il. Du coup, à Tskhinvali et dans les zones qu'ils contrôlent, 5 000 hommes ont été armés. Ils sont souvent bien payés, entre 200 et 400 dollars par mois (dix fois le revenu moyen). Tskhinvali les présente comme des employés de leurs prétendus ministères de l'intérieur ou de la défense. Pour nous, ce sont des bandes armées illégales."

Conscient que la force ne suffit pas à contrer les aspirations à l'indépendance et à la fusion avec l'Ossétie du Nord, membre de la Fédération de Russie, Tbilissi s'efforce de conquérir la population, de s'attirer ses faveurs en construisant, en investissant, en modernisant. A la sortie de Gori, dans le village de Tamaracheni qu'on atteint après un détour de plusieurs kilomètres sur une route boueuse de montagne, on découvre un cinéma, inattendu et ultramoderne, devant lequel s'est produit, fin octobre, le groupe légendaire Boney M.

Plus loin, un magasin d'électroménager à la peinture fraîche, un mini terrain de football en synthétique, le chantier d'un premier hôtel, un centre administratif où des policiers trônent derrière des ordinateurs tout neufs, et même un parc d'attractions.

"Nous sommes en train de tout réhabiliter, de l'eau courante aux hôpitaux, en commençant par les routes", explique M. Sanakoïev. Deux immeubles de 120 logements se dressent à l'entrée du village. Ils viennent d'être construits pour accueillir des réfugiés de Tskhinvali. Seules trente familles se sont installées. "Les Ossètes vivent très mal ce conflit, assure Chala Tramakidze, chef adjoint de la police géorgienne dans la province. Mais ils ne peuvent pas le dire, sous peine d'être accusés de trahison. A Tskhinvali, pourtant, rien ne fonctionne. Qu'a donc fait de bien Edouard Kokoïty pour la population ?"

Le 12 novembre 2006, plusieurs scrutins ont été organisés parallèlement dans la province : un référendum sur l'indépendance et une élection présidentielle, à l'initiative des séparatistes de Tskhinvali ; un vote sur l'autonomie de l'Ossétie du Sud, organisé par Tbilissi. Aucun n'a été reconnu à l'étranger.

Piotr Smolar

1 commentaire:

Grégoirtchik a dit…

Alors comme ça on ne vient pas en cours mais on poste sur le blog ?! ah la la ;)