samedi 10 novembre 2007

Mikhaïl Gorbatchev, invité d'Ulysse Gosset sur FRANCE 24


mission diffusée le 9 novembre 2007
(Extraits)

-… Vous avez été Président de l'Union Soviétique, vous êtes Prix Nobel de la paix et vous êtes Président fondateur de l'organisation « Green Cross International »… Est-ce cela qui vous fait vivre aujourd'hui… ?

- … Aujourd’hui, ma priorité, c’est… Green Cross International et l’écologie est sans doute aujourd'hui le problème n°1… Les premières années de Green Cross, on avait l’impression de se heurter à des murs, il n’y avait aucune réaction. Maintenant on a compris que ce problème concerne tout le monde... C'est un changement énorme dans les esprits…

- Quand on a dirigé… l'Union Soviétique et qu'on devient défenseur de l'environnement, comment assure-t-on la conversion ? Est-ce que vous avez eu la révélation subite ou est-ce… Tchernobyl qui vous a soudain éveillé à cette sensibilité ?

- … J’ai été confronté au problème de l’environnement… quand j’étais enfant… Mon père m’amenait aux champs... et je voyais comment le vent détruisait les plantes… Quand je suis devenu Secrétaire du Comité Central et que Brejnev m'a confié l'agriculture…, j'ai commencé à comprendre les problèmes…, j’ai vu que nous avions une attitude totalement erronée vis-à-vis de la terre et des paysans.

- Tchernobyl ça été un choc quand même… ?

- … Tchernobyl a montré à quel point nous sommes vulnérables, à quel point nous avions peu de moyens… Nous avons dépensé 14 ou 16 milliards de roubles pour arrêter la catastrophe dans un seul réacteur… Pour moi, il y a la vie avant et après Tchernobyl.

- Est-ce qu'à votre avis la perception du problème de l'environnement a réellement changé en profondeur en Russie aujourd'hui ?

- … C'est en train de changer fortement. Et ça concerne toutes les couches de la société, à commencer par les moscovites qui se battent pour l’écologie dans leurs quartiers… Il reste beaucoup de choses à faire… Seulement, maintenant, il y a des ressources dans le pays, il y a une possibilité d'exiger.

- Est-ce que vous pensez que les problèmes du réchauffement climatique et les conséquences que cela peut avoir peuvent entraîner des guerres… Est-ce qu'on est menacé dans le futur par des guerres de l'environnement ?

- Il y a déjà plein de conflits concernant l’avenir des forêts des lacs, de la distribution de l'eau douce pour l'irrigation… Ce n'est pas un hasard si Kofi Annan a dit que les futures guerres auront lieu non pas pour le pétrole mais pour le contrôle de l'eau douce… Vous savez qu'un milliard de personnes n'a pas accès à l'eau potable… et selon l’OMS, la première cause de maladie… c'est la consommation d’une eau de mauvaise qualité.

- L'exploitation des ressources naturelles est encore le coeur de la croissance économique russe. Est-ce que vous n'êtes pas inquiet ?

- Oui, ça a toujours été une source d’inquiétude… car la richesse donne de mauvaises habitudes… il y a énormément de gâchis. Pendant la perestroïka, on avait déjà commencé à se battre contre la dilapidation des ressources. Maintenant, la situation change pour le mieux à travers la stabilisation du pays par Poutine, après le chaos de Eltsine. Maintenant, on s’attaque à la modernisation et je crois que Poutine est sur la bonne voie parce qu'on ne peut pas maintenir le pays sous perfusion uniquement grâce au pétrole. Bien sûr, c’est intéressant de remarquer que… quand la Perestroïka a démarré, j'ai commencé… avec un prix du pétrole à 10 ou 12 dollars le baril… [Avec] un baril à 30 dollars, la Perestroïka aurait été protégée.

- Je vous propose de revenir sur votre parcours personnel... Quand on voit que vous avez fait de la publicité pour une grande marque de luxe, on se demande pourquoi vous avez fait ça, à quoi sert l'argent… ?

-… Je n'ai aucun complexe à ce sujet. Il y a des gens qui se prennent pour des superstars… Je me souviens d’une anecdote, je me promenais avec mon bon ami François Mitterrand… Des Parisiens nous ont demandé des autographes. Alors, Monsieur Mitterrand… a lancé : « Le Président de la France ne donne pas d'autographe » et moi j’ai pris les livres… et j’ai signé ! Je pense que ça reflète profondément ma personnalité… La publicité… ce sont des milliards de kilomètres de pellicules, alors la diffusion de deux publicités de Mikhaïl Gorbatchev en 10 ans, cela n’a rien d'extraordinaire. Pour moi, c'était l’époque où il fallait régler des problèmes financiers pour ma fondation, et j'ai fait de la publicité pour Pizza Hut… La deuxième publicité, pour Louis Vuitton, nous avions presque fini le bâtiment, mais nous avions créé un centre pour le traitement de la leucémie des enfants. Il fallait avancer. Nous nous sommes unis avec un grand entrepreneur russe, Alexandre Lebedev, c'est lui qui a construit le bâtiment mais il fallait des équipements. Le bâtiment a coûté 2 millions et les équipements près de 10 millions…

- Louis Vuitton vous a donné combien ?

- … Ils m’ont donné beaucoup, mais rien d’extravagant non plus ! Pizza Hut a payé plus et quand même ça n'était pas suffisant. Celui qui nous est venu en aide parmi les milliardaires, c'est Ted Turner… qui s’est comporté comme un milliardaire avec un cœur, une âme de vrai prolétaire… Maintenant, la fondation vit et fonctionne…

- … Avez-vous des regrets sur votre vie politique et surtout sur votre échec à la fin de l'Union Soviétique lorsque vous avez dû céder le pouvoir ?..

-... La plus grande erreur, ça a été l’effondrement de l’Union Soviétique. Ce qui est arrivé n’est pas la faute de l’Occident. Vous avez dit que j’avais démissionné, or non ! Quand j’ai vu l’accord qui avait été signé pour créer une nouvelle communauté d’Etats, je suis allé à la télévision et j’ai déclaré que j’arrêtais mes activités en tant que Président. Je n’étais pas obligé, j'aurais pu rester… J’aurais pu appeler l'armée mais j'ai vu que ce qui se passait était irréversible, que le peuple serait divisé, même si les gens avaient voté en mars pour la préservation de l'Union Soviétique. Mais moi je ne voulais pas d'effusion de sang, donc je n’ai pas pris ces mesures…

- Des regrets ?

- … D’abord l’effondrement de l’Union Soviétique ! On a été en retard avec les réformes : les gens étaient pour les réformes et en même temps ils voulaient préserver l'Union Soviétique. Presque 78% ont voté pour préserver l’URSS… Donc, c'est le premier regret j’ai pris du retard dans la réforme du parti qui est devenu un frein à la perestroïka. Il y encore beaucoup de regrets… Raymond Barre… m’a dit un jour : « Ecoute Mikhaïl, Vladimir Poutine affronte une situation très dure. Dans des cas pareils, dans n'importe quel système, pour réussir, on ne peut tenir sans avoir recours à des mesures autoritaires » ! Mais autant que je connais Poutine, il ne va pas instaurer de régime autoritaire. Je peux dire que Poutine a ses problèmes, parfois il fait des erreurs mais il avance dans la bonne direction… C’est vrai, il a parfois des actions autoritaires, mais après Eltsine l'armée était sur le point de se décomposer, les services sociaux, la médecine, les écoles ne fonctionnaient plus…Qu’est-ce vous voulez qu’il fasse, qu’il suive les manuels de savoir vivre ?....

- Quels sont vos rapports personnels avec Vladimir Poutine ?

- On n'est pas de proches amis mais… nous avons confiance l'un dans l'autre. Parfois, quand c’est nécessaire pour l’un ou pour l’autre, on se rencontre, mais je ne suis pas son conseiller. Quand je considère qu'il faut que je dise quelque chose, je le dis ouvertement via la presse.

- Quand Vladimir Poutine restreint les libertés d'opinion, quand il y a des emprisonnements d'opposants, on a vu le meurtre d'Anna Politkovskaïa qui n'est toujours pas résolu, vous n'êtes pas critique sur l'absence de démocratie ? Sur ces questions-là, est-ce que vous n'êtes pas inquiet pour la démocratie en Russie et certains disent même que Poutine est un nouveau dictateur, qu'est-ce que vous en dîtes ?

- Je ne suis pas de cet avis. Poutine est un homme qui a une attitude très sérieuse vis-à-vis de ses obligations présidentielles. Il a sorti la Russie du chaos… J'ai beaucoup réfléchi sur qui critique qui, quand et pourquoi. Vous savez, pendant l’époque Eltsine, les gens pendant des mois où même des années ne touchaient pas leur salaire. Si cela s'était produit en France…, les Français auraient balayé le gouvernement !..
Je pense que Poutine réagit à la critique de façon sérieuse. Il m'a dit qu’il est pour la presse libre, mais une presse responsable. Je crois que c'est la bonne attitude parce que la presse, parfois fait n’importe quoi… Poutine rencontre la presse plus que moi…; il travaille beaucoup avec la presse et c’est bien.

- Et Anna Politkovskaïa ?… Vous pensez qu’on va trouver l’assassin ?

- J'aimerais mais jusque là beaucoup de meurtres n'ont pas été élucidés et la question est de savoir qui est le meurtrier si on ne peut pas le prouver. Alors, j'espère qu'il sera retrouvé et je crois que l’intention de Poutine c’est aussi qu'il faut absolument trouver l'assassin.

- Si Vladimir Poutine n'est pas responsable de cette situation vis-à-vis de la presse et si, néanmoins, Anna Politkovskaïa a été assassinée, ça veut dire qu'il ne contrôle pas complètement la situation ?..

- Je crois que c'est la responsabilité aussi bien de la société que du pouvoir…. Tout le monde pense que nous avons beaucoup progressé sur la démocratie. Nous sortons seulement de la période de transition pour aller vers des institutions démocratiques… Les Américains disent qu'ils veulent la même démocratie que chez eux mais moi je suis ravi !.. Nous sortons à peine de 70 ans d'un système qui était totalitaire, qui réprimait toute forme de démocratie !.. Alors, attendez, soyez patients…

- Je vous propose maintenant de voir les résultats d'un sondage… [qui] montrent que pour la majorité des sondés, la Russie redevient une grande puissance... Vous êtes satisfait, vous êtes fier ?

- Ce n'est pas une question de fierté. Le pays s'est relevé, il va de l'avant et cela se produit parce que les gens arrivent à résoudre leurs problèmes… et, bien sûr, la conjoncture était très favorable. Je pense que c’est Dieu qui aide la Russie à sortir de la crise. Il faut se souvenir qu’en Occident et en Orient, nos amis n'étaient pas très inquiets de la situation en Russie et ils applaudissaient Eltsine. On voyait, nous, que ça allait mal et l'Occident applaudissait ! Alors, je me suis demandé ce que voulait l'Occident… Moi je suis très content qu’on se soit débarrassé de Eltsine, il est parti lui-même, il n’y avait que 2% de Russes qui le soutenaient… Maintenant, la Russie s'est relevée, elle reste la Russie, elle a son expérience, sa culture, son histoire pour participer à tous les processus mondiaux et l'absence de la Russie quand elle était en crise, c'était très mauvais pour la Russie, pour l’Europe et le monde. Mais maintenant, la voix de la Russie est écoutée… et la Russie accepte cette responsabilité… La Russie va être un partenaire fiable et stable mais c'est peut-être intéressant pour l'Europe de parler du chantage énergétique de la Russie… Je ne sais pas qui est l'otage de qui... Ce qui est important pour nous, c'est que nous sommes des amis, des partenaires historiques. Il faut qu'on fasse du commerce ensemble et que la Russie remplisse ses obligations.

L'Occident nous critique : pourquoi vendons-nous à l'Ukraine, à la Moldavie, à la Biélorussie, à la Géorgie, le gaz à moitié prix ? Le marché doit être le même pour tous. On prévient nos partenaires un an à l’avance… mais les autorités suprêmes de ces pays disent : « La Russie ne peut pas augmenter les prix, nous sommes frères »… On commence à prendre des mesures concrètes. A ce moment là tout l'Occident s’insurge pour défendre l'Ukraine, la Biélorussie… Je vous confirme que La Russie est un partenaire fiable… Il ne faut pas mettre la Russie dans une situation difficile. Il n’y a aucun plan machiavélique…

- Vous avez mis fin à la guerre froide et c'est pour ça que vous avez été Prix Nobel de la Paix. Est-ce qu'il y a un retour aujourd'hui ?

- … Il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas… S'accuser mutuellement au lieu de dialoguer doit être inadmissible. Je crois qu’aujourd’hui on peut encore inverser la tendance. D’ailleurs on a, de nouveau, des négociations avec l'Allemagne, la France, les Etats-Unis et j'espère que les résultats seront positifs. Ce n’est pas avec les fusées qu’on va résoudre les problèmes. Il faut constamment approfondir le dialogue. Mais il faut agir dès maintenant parce que demain il sera trop tard et la crise sera partout. Et on ne pourra pas résoudre cette crise avec des canons ou avec la guerre. Sinon, toute la terre va disparaître et nous aussi !..

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