Par Sergueï Yastrjembski, représentant spécial du président russe pour le développement des relations avec l'UE
Interview réalisée par Elena Chesternina
Le 26 octobre, le 20e sommet Russie - Union européenne se réunira à Mafra, au Portugal. Les problèmes à débattre ne manqueront pas. Premièrement, on n'a toujours pas réussi à régler la question du nouvel accord stratégique entre la Russie et l'Union européenne, appelé à remplacer l'Accord de partenariat et de coopération en vigueur depuis dix ans. Deuxièmement, les projets visant à durcir les règles pour les investisseurs opérant sur le marché européen de l'énergie ont désagréablement surpris Moscou. Le russe Gazprom pourrait être la première victime. Parviendra-t-on à faire progresser la solution de ces questions et d'autres problèmes?
- Il est clair que le prochain sommet de Lisbonne, au Portugal, ne mettra pas un point final à la question de l'accord stratégique entre la Russie et l'UE. Quand pensez-vous que les négociations bougeront enfin du point mort ? Dans quelle mesure est-ce une question de principe pour la Russie ? A moins que Moscou ne considère l'absence de nouvel accord que comme un simple "problème technique"?
- L'accord de partenariat et de coopération en vigueur depuis dix ans sera automatiquement prorogé d'un an au début du mois de décembre. Les deux parties - tant Moscou que Bruxelles - ne s'y opposent pas. Nous réussirons ainsi à éviter un vide juridique. Bien sûr, nous ne pouvons qu'être préoccupés par l'absence de progrès aux négociations sur le nouvel accord. Mais cela nous tracasse dans la même mesure que les Européens. Un nouveau document est nécessaire, autant pour nous que pour eux. Le veto polonais à l'ouverture des pourparlers n'est rien d'autre que la politisation d'un problème technique dans les relations russo-polonaises (S. Yastrjembski fait référence à l'introduction, par Moscou, de restrictions aux importations de viande polonaise - NdlR). Mais il faut résoudre ce problème au niveau bilatéral et non pas y mêler toute l'Union européenne. L'absence de mandat pour les négociations, c'est avant tout le problème des Européens. Ils doivent commencer par s'entendre entre eux. Car c'est de Bruxelles et non de Moscou que la commission européenne reçoit son mandat.
- Se pourrait-il que le changement de gouvernement en Pologne contribue à régler la question de la signature d'un accord ? Dans quelle mesure aussi bien les relations entre la Russie et l'UE que les relations bilatérales avec Varsovie vont-elles s'améliorer maintenant ?
- Bien des choses dépendront des intentions du nouveau gouvernement polonais et de ce qu'il entreprendra. Nous ne pouvons nous appuyer, pour l'instant, que sur les seules promesses électorales, qui incitent à un optimisme prudent.
- Pourtant, Lech Kaczynski est toujours président�
- Selon la Constitution polonaise, le gouvernement est doté de nombreuses compétences en matière de politique extérieure. Et, au parlement, il pourra s'appuyer sur une majorité confortable. Je ne peux bien évidemment pas prévoir la position qu'adoptera le nouveau gouvernement polonais. Mais j'ai le sentiment qu'elle sera plus souple et plus pragmatique que celle de son prédécesseur.
- "L'embargo sur la viande" polonaise décidé par la Russie est-il le seul élément bloquant la signature d'un accord ? Pourquoi n'entend-on plus du tout parler, ces derniers temps, des exigences présentées à la Russie, sommée de ratifier la Charte énergétique (deuxième condition justifiant le veto polonais à l'ouverture de pourparlers) ?
- Le Traité sur la Charte énergétique est, pour nous, un thème désormais sans objet. Et nous ne le ratifierons pas. L'Union européenne ne soulève d'ailleurs plus la question. Lors des sommets, notamment lors de la rencontre de Lahti l'an dernier, nous avons à plusieurs reprises exposé fermement notre position. Le Président russe s'est expliqué en détails sur ce sujet, et, depuis, nous n'entendons plus parler de ce problème au niveau officiel. Quant à ce qu'en disait le précédent gouvernement polonais, tout le monde est au courant. Mais cela n'a plus aucune importance aujourd'hui.
- La question des projets de la Commission européenne visant à limiter l'accès des étrangers au marché énergétique sera-t-elle soulevée au Portugal ? Dans quelle mesure ces projets sont-ils susceptibles d'être mis en �uvre et quelles menaces représentent-ils pour nous ?
- Aucune décision de principe n'a été prise par l'Union européenne. Il existe un vague projet, une esquisse d'idées soumises aux pays membres de l'UE. Ce projet est d'ailleurs critiqué aussi bien par de nombreux acteurs économiques que par certains pays membres comme la France, l'Allemagne, l'Italie ou l'Autriche. Il n'y a aucun changement pour l'instant mais c'est bien évidemment un thème que nous débattrons.
- Lors des consultations russo-allemandes de Wiesbaden, certains membres de la délégation russe ont proposé d'élaborer un nouvel accord Russie - UE sur l'énergie. Cela aurait-il un sens ?
- Ce thème des relations entre la Russie et l'UE doit être interprété différemment, dans le contexte de la mise au point de l'accord appelé à remplacer l'Accord de partenariat et de coopération. Les Européens ont proposé (sans objections de notre part) de consacrer certains articles du futur traité aux principes de la coopération énergétique. Ce qui est judicieux. Nous pourrons ainsi "apprendre par c�ur" les principes qui nous unissent, dans l'esprit de la déclaration sur l'énergie faite au sommet du G8 de Saint-Pétersbourg. Elle satisfait tant les Russes que les Européens. C'est dans cet ordre d'idées que nous débattons ce thème avec l'UE. Mais un nouvel accord ne résoudra pas grand-chose.
- L'été dernier, l'accord sur l'assouplissement du régime des visas est entré en vigueur. Avons-nous des griefs envers certains pays concernant son application ?
- Lors du sommet, nous voulons procéder à un tour d'horizon sur la manière dont sont mis en �uvre les accords portant sur la simplification de la délivrance des visas et sur la réadmission. Pour ce qui est de la réadmission, tout se déroule normalement dans l'ensemble. Mais, concernant la simplification de la procédure de délivrance des visas, nous ne sommes pas totalement satisfaits. Certaines ambassades et consulats ont malheureusement maintenu une liste excessivement détaillée des documents exigés en vue de l'obtention d'un visa. Les consulats de certains pays de l'UE en Russie n'ont pas réduit cette liste et certains l'ont même allongée. Ainsi, l'ambassade d'Allemagne demande aux chauffeurs routiers de fournir 21 pièces justificatives, y compris une copie de leur passeport intérieur russe, de leur livret de travail, de leur permis de conduire, etc. Il n'y a eu aucun allègement pour cette catégorie (pourtant particulièrement visée par l'accord). L'ouverture de centres de traitement des demandes de visas nous préoccupe encore plus. Sur ce plan, la France, la Belgique, l'Espagne et les Pays-Bas se sont distingués. La création de ces centres répond à l'objectif, généreux, semble-t-il, d'améliorer la qualité des prestations offertes aux citoyens russes. Mais elle a conduit en fait à l'augmentation du prix des visas. En vertu de l'accord, le prix des visas devait être de 35 euros pour la procédure habituelle et de 70 euros pour la procédure accélérée. Mais les centres de traitement des demandes de visas ne travaillent pas gratuitement, ils veulent eux aussi être rémunérés pour leurs prestations. Au final, le coût réel des visas augmente. Ca ne peut pas durer, c'est une violation directe de l'accord. Et nous en parlerons obligatoirement au Portugal. L'accord doit être respecté. Dans le cas contraire, nous serons contraints d'agir de manière analogue à l'encontre de ceux qui contreviennent à l'accord.
- Dans quel contexte la question du Kosovo sera-t-elle examinée lors du sommet ?
- Le thème du Kosovo est en général examiné en profondeur. C'est ainsi que, lors du sommet de Samara, l'une des rencontres informelles entre Vladimir Poutine et Angela Merkel a été entièrement consacrée au Kosovo et, surtout, aux conséquences éventuelles de telle ou telle mesure le concernant. Notamment sur le plan de la création de précédents pour d'autres formations analogues dans l'espace postsoviétique. En règle générale, on n'épargne pas le temps passé sur le sujet : c'est un thème trop grave, qui concerne directement les Européens. Il n'existe pas d'opinion unique sur ce problème au sein de l'Union européenne et certains Etats redoutent une solution unilatérale. C'est à peu près dans le même esprit que nous allons discuter du Kosovo. De plus, il y a déjà les résultats préliminaires du travail de la troïka (troïka des médiateurs internationaux, c'est-à-dire l'Union européenne, les Etats-Unis et la Russie - NdlR). Et sans doute parlerons-nous aussi de ces résultats.
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