mercredi 21 novembre 2007

La Rome antique au secours des pro-Poutine?

Dans l'Antiquité, la période du règne d'Octavien Auguste qui dura 45 ans fut baptisée Principat d'Auguste.

Le jeune Octave (devenu Octavien par la suite) mit fin aux guerres civiles qui avaient exténué la société romaine. Il réussit à consolider les différentes catégories de maîtres d'esclaves et à rétablir la stabilité à Rome.

Octavien était un gouvernant prudent et circonspect. Il ne violait pas ouvertement les lois et les traditions respectées à Rome. Le chef de l'Etat et son entourage cherchaient constamment des titres et des fonctions qui pouvaient légitimer son statut. Tout d'abord, le nom d'Octavien fut précédé par le titre "d'auctoritas" ("autorité"). Un homme devenait à l'époque une "auctoritas" en fonction de sa situation dans la société et dans l'Etat, compte tenu de ses mérites universellement reconnus. Ce titre n'était pas héréditairement transmissible et ne pouvait pas être transféré à une autre personne. Sous Octavien, la fonction "d'auctoritas" est entrée dans le système du pouvoir étatique romain. La personne détenant ce titre était habilitée, en se fondant sur sa propre autorité, à accomplir différents actes requérant habituellement une autorisation de la part du sénat.

Auguste ajoute par la suite à son nom le titre d'empereur. A l'époque républicaine, on nommait "empereur" un général vainqueur, et ce, pendant la période allant de sa victoire à la fin du triomphe. Auguste, qui fut proclamé empereur 21 fois, conféra à ce titre une signification nouvelle, celle de symbole du pouvoir suprême. Tout en étant le chef de l'armée, l'empereur avait en même temps le droit de percevoir les impôts, de déclarer la guerre et de conclure la paix. Il pouvait exécuter un sénateur ou un chevalier (représentant de l'ordre équestre) dans les murs de la ville.

De tous les titres d'Auguste, c'est celui de princeps qui correspondait le mieux à sa situation dans l'Etat, fondée sur son autorité. Le princeps était le premier des citoyens (le Premier du Sénat). Des ouvrages historiques utilisent souvent ce terme pour désigner un chef, un souverain, un leader.

Auguste fut à plusieurs reprises reconduit dans ses fonctions par le sénat: deux fois pour cinq ans, puis trois fois pour dix ans. Lorsqu'il n'était pas élu consul, il était investi, au nom du sénat, de pouvoirs particuliers. A la fin, il avait les compétences de tribun à vie et jouissait du droit de soumettre au sénat différentes propositions.

Après 30 ans de règne, il reçut le titre honorifique de "père de la patrie" - "pater patriae". Il fut 13 fois élu consul et trois fois doté de pouvoirs exceptionnels. Pendant les premières décennies du Principat, la question de la nature et de la forme du pouvoir jouait un rôle très important, ce qui s'explique par le fait que la culture et les principes juridiques se trouvaient à un niveau assez élevé dans la société romaine. Ceci satisfaisait également l'opposition en la personne de l'aristocratie du sénat, laquelle condamnait ouvertement les aspirations monarchiques d'Octavien. Les fonctions républicaines (consul, tribun) n'étaient conservées que formellement, puisqu'elles étaient concentrées entre les mains d'une seule personne. Ceci permet de considérer le Principat d'Auguste comme un régime politique dissimulant la monarchie derrière l'apparence d'une république.

Les allusions au Principat d'Auguste viennent à l'esprit de plus en plus souvent ces derniers temps, au fur et à mesure que les élites politiques et les masses populaires cherchent toujours plus énergiquement à trouver pour Vladimir Poutine une place dans le système du pouvoir russe après le mois de mars 2008. On en arrive même à proposer de considérer M. Poutine comme un "tsar aîné" et son successeur nouvellement élu comme un "tsar cadet". Dans ce contexte, on peut mieux comprendre l'aspiration du Kremlin à présenter les élections législatives comme un plébiscite de Vladimir Poutine. L'idée de cette substitution est sans doute très simple: si Russie unie conduit par M. Poutine recueille plus de voix que le prochain président du pays, les sympathisants de Poutine pourront de plein droit le considérer comme un homme jouissant d'une plus grande influence morale que le "tsar cadet".

Dans les démocraties habituelles, la succession politique s'effectue par le biais d'engagements et de promesses publiques des acteurs politiques (partis et présidents), qui sont soumis à un vote populaire.

La tentative de créer dans le pays une sorte de "principat de Poutine", c'est-à-dire, d'établir le pouvoir d'une seule personne tout en conservant formellement les structures mentionnées dans la Constitution, ne serait pas dans l'intérêt de la Russie à long terme. Le devenir des institutions de la démocratie contemporaine et la mise au point des mécanismes d'adoption de décisions et de compromis entre les branches du pouvoir sont des tâches difficiles mais nécessaires. Tout comme les mathématiques à l'école. Il serait inconvenant et ingrat de surmonter ces difficultés en cédant à la tentation de déléguer l'ensemble des pouvoirs à une seule personne.

Cherchant à justifier la nécessité de maintenir Vladimir Poutine au pouvoir, les militants de l'idéologie officielle vont jusqu'à affirmer qu'un déplacement "d'un micron" de la construction du pouvoir entraînera un effondrement immédiat et un retour au chaos des années 1990. Ils ne remarquent même pas que par cette affirmation même, ils renient tous les acquis des huit ans de présidence poutinienne. De quelle stabilité peut-il s'agir, si celle-ci s'évapore en un instant en cas de déplacement d'un seul micron du système du pouvoir?

Article paru dans le journal Nezavissimaïa gazeta le 19 novembre 2007.

Cet article est tiré de la presse et n'a rien à voir avec la rédaction de RIA Novosti ni avec celle du blog IEDG.

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