jeudi 8 novembre 2007

Révolution d'Octobre: les Russes n'oublient pas


Par Maxime Krans, RIA Novosti.

90 ans ont passé depuis la prise du pouvoir par les bolcheviks en Russie. Cet événement bouleversa le cours de l'histoire du pays et marqua le début d'une expérience abominable qui brisa le destin du pays et de millions de ses habitants. Cela fait déjà trois ans que la journée du 7 novembre ne figure plus sur la liste des fêtes nationales. Mais a-t-elle été pour autant effacée de la mémoire du peuple russe?

Voici mes souvenirs d'enfance. Dès le matin, tout était rouge dans la rue. Drapeaux, banderoles, portraits de chefs du parti. Les haut-parleurs jouaient des marches vives, les manifestants se dirigeaient vers la place Rouge en produisant un brouhaha interminable.

Ce jour-ci, les habitants de notre appartement communautaire avaient l'habitude d'offrir les uns aux autres des friandises préparées à l'avance: pirojkis, petits fours, salades. Tout le monde félicitait tout le monde, les vieux et les petits, les parents de victimes de répressions et ceux qui les avaient dénoncés ou interrogés avant de les mettre en prison, bref, tous ceux qui, par une cruelle ironie du sort, vivaient dans un seul appartement.

Le soir, les adultes se rassemblaient autour d'une table, sous un abat-jour, et parlaient tout bas en faisant des allusions, utilisant des mots étranges pour un enfant, tels que "zek" ("détenu") ou "Goulag" ("Direction principale des camps de travail").

Ensuite on descendait dans la rue pour regarder les feux d'artifice et crier à tue-tête "Hourra!" en saluant la Révolution d'octobre...

Non, il ne s'agit pas d'une nostalgie du passé, mais plutôt de cette heureuse sensation de fête, et de moi tout petit, qui ne se rendait même pas compte de ce que l'on fêtait.

La journée du 7 novembre, qu'est-ce qu'elle signifie pour les Russes d'aujourd'hui? Quelles sont leurs sentiments à l'égard du coup d'Etat d'octobre 1917?

Selon un sondage réalisé par la fondation Obchtchestvennoïé mnienié ("Opinion publique"), 11% des habitants de la Russie continuent de célébrer la fête de la Révolution d'octobre, bien qu'elle ne soit plus une fête nationale. Le chiffre n'est pas très important, compte tenu que même la Saint-Valentin, une fête étrangère, est célébrée par 18% des Russes et la Journée internationale des femmes par 71%.

En ce qui concerne la révolution elle-même, l'attitude des Russes contemporains m'a quelque peu choqué: 40% estiment qu'elle a eu plus de conséquences positives que négatives pour la Russie (contre 29% d'avis contraire). 55% des personnes interrogées ont déclaré que cette révolution avait "ouvert une nouvelle ère dans l'histoire des peuples de Russie", "donné une impulsion à leur développement économique et social". Seulement 26% pensent qu'elle a "freiné leur développement" et qu'elle "a entraîné une catastrophe" (selon le Centre Levada). Quant à l'inspirateur et organisateur de ce coup d'Etat, Vladimir Lénine a joué un rôle positif dans l'histoire du pays pour 58% des Russes, alors que trois fois moins de personnes seulement sont d'avis contraire.

C'est comme s'il n'y avait eu ni guerre fratricide, ni "nettoyages" politiques, ni camps de concentration, ni famine, ni millions de fusillés, de déportés, ni victimes d'un travail au-dessus de leurs forces! La mémoire humaine, est-elle aussi courte que cela?

Cependant, cette attitude a sans doute d'autres raisons. Un esprit contrasté, un fatras de directives idéologiques contradictoires, de vieux stéréotypes et des valeurs morales qui ont changé, tout ceci caractérise l'époque de transition que traverse la Russie depuis un certain temps.

Mais une chose est néanmoins rassurante: tout le monde ne souhaite pas revenir à cette époque, même parmi ceux qui ont une image embellie de l'histoire soviétique. Selon une étude réalisée par des spécialistes du Centre russe d'étude de l'opinion publique (VTSIOM), seulement 4% des Russes auraient préféré vivre à l'époque stalinienne. Mais si l'on prend en compte le fait que ce sont pour la plupart des gens âgés, on peut supposer qu'ils sont plutôt nostalgiques de leur jeunesse. Un quart des personnes interrogées souhaiteraient revenir à l'époque de la "stagnation" brejnévienne. Cependant, 52% des sondés sont satisfaits de l'époque actuelle, alors qu'il y a deux ans, cet avis n'était partagé que par 39% des Russes.

Parallèlement, les idées socialistes sont toujours aussi populaires au sein de la société russe. 46% des personnes interrogées approuvent la perspective hypothétique d'une construction du socialisme en Russie, bien que seulement une sur dix estime que cette idée est vraiment réalisable. Or, ce n'est pas l'exemple soviétique, encore moins chinois ou coréen, mais l'exemple suédois, mariant l'économie capitaliste à la sphère sociale socialiste, qui serait à suivre, selon eux.

Quoi qu'il en soit, il est évident que la société russe tend vers la nostalgie et les idées communistes. D'autant que beaucoup de choses nous rappellent aujourd'hui des temps révolus: le mausolée de Lénine et les gratte-ciels staliniens, les sculptures d'ouvriers et de kolkhoziennes heureux décorant des stations de métro, les films sucrés de l'époque qui ne quittent pas le petit écran et les mémoriaux des leaders soviétiques.

Vous pouvez toujours trouver des monuments consacrés à Vladimir Lénine dans toutes les villes russes. Il y en a plus de 70 rien qu'à Moscou. Parfois on en érige même de nouveaux. Les autorités de la ville d'Ichim sont allés encore plus loin en reconstruisant en 2003 au centre-ville un monument dédié à Joseph Staline. L'année dernière, un musée du "chef de tous les peuples" a même été fondé sur la colline de Mamaïev Kourgan à Volgograd. Un nouveau monument dédié à Staline devrait être inauguré en décembre prochain, le jour de sa naissance, à Barnaoul.

Tout ceci nous donne l'impression que ces derniers temps, les Russes sont instamment priés de réviser une nouvelle fois leur passé. Voici un exemple emblématique: un nouveau manuel d'histoire affirme que "l'Union soviétique n'était pas une démocratie, mais qu'elle représentait un repère sur le chemin vers une société meilleure et équitable pour des millions de personnes dans le monde entier". Nos enfants, utiliseront-ils des textes de ce type pour se faire une idée du régime fondé en octobre 1917?

N'ayant pas su se débarrasser des vestiges du passé, la Russie s'est arrêtée à mi-chemin de la démocratie, de l'humanisme et de la civilisation. Espérons qu'elle arrive à poursuivre son parcours.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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