vendredi 2 novembre 2007

L’appel au calme de cinq ex-KGB

Il y a visiblement péril en la demeure pour que cinq généraux retraités du KGB sortent de leur réserve et fassent publier en une du journal russe Zavtra («demain») une lettre ouverte «à tous ceux que le destin de la Russie ne laisse pas indifférent» et titrée «Ne pas pousser à la catastrophe». Cosignée par Vladimir Krioutchkov, le dernier président du KGB, Nikolaï Leonov, actuellement député à la Douma du parti nationaliste Rodina et trois autres généraux en retraite du KGB, cette très courte missive appelle les différents groupes en conflit à se réconcilier rapidement au nom de la sécurité nationale. «Faites chacun un pas l’un vers l’autre ! écrivent-ils. Sinon, croyez-en notre expérience, de grandes catastrophes peuvent arriver et il ne faut tolérer cela à aucun prix.» Le plus gradé des signataires, Vladimir Krioutchkov, a vécu aux premières loges la fin de l’Union soviétique en tant que membre du Comité d’Etat d’urgence, qui a dirigé quelques semaines le pays après un coup d’Etat mettant fin à la Perestroïka et à la carrière de Gorbatchev, avant d’être balayé à son tour par Boris Eltsine et de finir pour quelque temps dans un cachot.

Ecoutes illégales. Ce qui préoccupe ces vétérans de la «Corporation des tchékistes», comme ils se désignent eux-mêmes, est la lutte sans merci à laquelle se livrent deux services secrets d’influence quasi égale – le FSKN, qui coiffe la lutte contre la corruption et le trafic de drogue, et le FSB. Ils sont dirigés respectivement par deux proches de Poutine, Viktor Tcherkessov et Nikolaï Patrouchev. Déjà le 9 octobre dans une lettre plus longue publiée en une du quotidien Kommersant, Viktor Tcherkessov, le chef du FSKN ou «narco contrôle» évoquait pour la première fois publiquement cette guerre des services. Il faisait notamment allusion à l’arrestation et l’inculpation pour écoutes illégales et corruption de quatre de ses collaborateurs, voyant derrière ce coup bas, une manœuvre de ses rivaux du FSB.

«Les Trois Baleines». «N’est-il pas étrange que les quatre collaborateurs du “Narco contrôle” arrêtés fassent tous partie d’une équipe dûment mandatée par le Parquet général pour enquêter sur l’affaire des “Trois Baleines” et de la contrebande chinoise ?» écrivait-il, se référant à une des plus retentissantes affaires criminelles des dix dernières années impliquant des officiers du FSB. Dix-neuf d’entre eux, dont deux généraux, avaient été arrêtés l’hiver dernier dans le cadre d’une affaire de contrebande de meubles passant par le réseau de magasins appelé les Trois Baleines. Depuis, le FSB semble avoir repris la main et obtenu il y a trois jours l’arrestation du général Aleksandr Boulbov, de l’équipe du «Narco contrôle». Celui-ci clame son innocence et en appelle à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. La situation semble échapper à tout contrôle. Ainsi, un collaborateur en fonction et un ancien du «Narco contrôle» ont été retrouvés morts empoisonnés samedi à Saint-Pétersbourg.

«L’objectif de la publication de cette lettre a pour objet d’alerter l’opinion publique et, de cette manière, de faire pression directement sur le gouvernement pour qu’il intervienne dans cette lutte entre les deux services très dangereuse pour la stabilité du pays. S’il avait juste voulu s’adresser aux chefs des deux services, Vladimir Krioutchkov, ancien président du KGB d’URSS n’avait évidemment pas besoin de nous», explique Aleksandr Prokhanov, rédacteur en chef du journal Zavtra qui a publié la lettre des vétérans expliquant l’actuelle guerre entre les services par la proximité des élections et du départ de Poutine, qui a eu jusqu’ici la grande vertu de maintenir un équilibre entre tous les clans et leurs conflits accumulés depuis les années 90. Un implacable jeu de pouvoir où s’affrontent les différents services secrets, les différents oligarques, les représentants du pouvoir central face à ceux des régions, etc.

Oligarques. L’implication des services secrets dans les affaires criminelles remonte aux années 90. A l’époque, les plus importants et les plus influents oligarques s’étaient tous dotés de leurs propres services de sécurité et de renseignement. De façon naturelle, ils avaient recruté parmi les membres des services écœurés de la déliquescence du pouvoir ou tentés de s’enrichir rapidement à la faveur du désordre ambiant. «A cette époque, explique Prokhanov, de nombreux membres des services ont quitté leurs fonctions pour rejoindre les milieux d’affaires dont l’activité, peu encadrée par la loi était, par nature ou inclinaison, criminelle. Mais tous ont conservé leurs relations avec leurs maisons respectives. Et ils sont appuyés par leurs collègues en place pour les protéger.» Aujourd’hui, l’arme judiciaire représente plus que jamais un moyen stratégique pour éliminer un concurrent dans cette lutte pour la survie dans l’au-delà, c’est-à-dire l’après-Poutine, qui commence dans moins de six mois.

Jean-François Guélain
Libération
vendredi 2 novembre 2007

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