vendredi 2 novembre 2007

Attentat meurtrier au coeur de la Russie

L'explosion, hier, d'un autobus civil à Togliatti pourrait être liée à l'empoignade entre les clans pour la succession de Vladimir Poutine.

À UN MOIS d'élections législatives russes sous haute surveillance du Kremlin, un autobus bourré de passagers, dont nombre d'écoliers, a été soufflé hier matin, à Togliatti, par l'explosion d'une bombe apparemment cachée sous le véhicule. Huit personnes sont mortes, une cinquantaine d'autres ont été blessées. Les autorités régionales ont presque immédiatement confirmé que la version la plus probable était celle d'« un attentat terroriste ». Une enquête criminelle a été ouverte.
Si la version terroriste devait être confirmée, l'événement porterait un coup très dur à la fameuse « stabilité » politique que le président Poutine se vante d'avoir instauré en Russie depuis son arrivée aux affaires. « C'est le stabilifoutoir », confiait déjà il y a quelques jours avec amertume Zakhar Priledine, un jeune écrivain russe qui fait partie du mouvement d'opposition de Garry Kasparov.
Qui a pu organiser une action aussi insensée dans cette ville des bords de la Volga créée de toutes pièces dans les années 1970 pour abriter le géant automobile soviétique Avtovaz ? Au regard de la cible choisie, il est très peu probable qu'il s'agisse d'un règlement de comptes comme il y en eut souvent autour de cette usine, noyautée par des sociétés de distribution criminalisées. Une source des forces de l'ordre à Togliatti n'excluait toutefois pas l'idée qu'un passager ait pu transporter un explosif sans avoir l'intention de l'actionner.
Reste les autres hypothèses que l'on évoque en Russie chaque fois qu'un acte terroriste se produit : la piste caucasienne, qui impliquerait des « réseaux islamistes tchétchènes » dont on peut légitimement se demander quel intérêt ils auraient à frapper un bus de civils au coeur de la Russie. Ou alors un acte terroriste lié à la succession de Poutine et au formidable « combat de bouledogues sous le tapis » qui se joue entre les clans du pouvoir.
Crainte d'être lésé
Quelqu'un veut-il créer une situation « d'état d'urgence » telle que Poutine n'ait d'autre choix que de rester à la présidence, pour éviter de léser l'un ou l'autre des clans qui ont prospéré sous son règne ? « Lui souhaiterait partir, mais eux ne veulent pas, il est le seul garant de leur maintien aux affaires et de la poursuite de leur enrichissement », notait le politologue Alexeï Moukhine.
Cette idée n'a cessé de faire son chemin parmi les experts de la très opaque scène politique russe, au fur et à mesure que se multipliaient les signes d'une lutte acharnée entre les différentes factions des services secrets au pouvoir. Il y a quelques semaines, le chef de l'agence russe antidrogue Viktor Tcherkessov, un ancien officier du FSB de Saint-Pétersbourg, jadis très proche de Poutine, a publiquement exprimé son inquiétude dans le quotidien Kommersant après l'arrestation de plusieurs hauts responsables des services placés sous ses ordres. Sa sortie médiatique, très inhabituelle dans le monde feutré des services secrets, en disait long sur le degré de tension qui règne entre les factions. Hier, un tribunal moscovite annonçait d'ailleurs que le général Alexandre Boulbov, principal personnage visé par les arrestations à l'agence antidrogue, serait maintenu en prison...
Hier, Vladimir Jirinovski, député ultranationaliste souvent utilisé comme porte-voix indirect des opinions du Kremlin, ajoutait une troisième version aux deux précédentes, affirmant que « c'est Londres qui fait tout ça », autrement dit l'oligarque en exil Boris Berezovski. « De tels actes terroristes, faits pour créer une atmosphère de nervosité, vont se répéter jusqu'à la présidentielle », ajoutait-il.
Le 14 août dernier, un attentat à la bombe avait provoqué le déraillement d'un train Mos-cou-Saint-Pétersbourg, faisant soixante blessés. Le chef des services secrets russes (FSB), Nikolaï Patrouchev, avait évoqué une piste « ultranationaliste » ou caucasienne. Il avait annoncé le renforcement du dispositif antiterroriste à l'approche des élections.
Il est vrai que les attentats terroristes font malheureusement partie du paysage électoral russe depuis des années. En septembre 1999, des explosions d'immeubles civils, attribuées sans preuves aux indépendantistes tchétchènes, avaient déclenché une nouvelle guerre en Tchétchénie et propulsé Poutine au sommet du pouvoir, lui tissant un habit de « sauveur ».

LAURE MANDEVILLE.
Le Figaro
Publié le 01 novembre 2007

Les enquêteurs russes privilégient la thèse de l'attentat après l'explosion dans un bus à Togliatti

L'explosion d'une bombe à bord d'un bus à Togliatti, dans la région de Samara (sud de la Russie), a fait 8 morts et 63 blessés, mercredi 31 octobre. La plupart des victimes sont des étudiants. Vladimir Artiakov, le gouverneur de la région de Samara, a évoqué sur-le-champ la piste d'un attentat terroriste comme étant "la principale hypothèse retenue". Une enquête criminelle a été ouverte pour terrorisme, homicides volontaires et détention d'explosifs. Les enquêteurs n'excluent pas l'explosion fortuite d'une bombe artisanale transportée par l'un des passagers de l'autobus.

L'explosion s'est produite à l'intérieur du bus, qui circulait dans le centre-ville, à 8h 10, heure d'affluence dans cette ville de 800 000 habitants connue pour son usine Avtovaz (120 000 personnes employées) qui fabriquent les Lada, des automobiles conçues à l'origine sur le modèle des Fiat. Le bus, bondé, s'est arrêté à un feu rouge. C'est à ce moment-là que l'explosion s'est produite. "La porte a été arrachée et nous avons été projetés vers la sortie", a raconté l'une des victimes à la chaîne de télévision Pervy Kanal. "Nous avons dû marcher sur les corps pour sortir de l'autobus", a ajouté une autre personne commotionnée.

Une possible "piste caucasienne est étudiée parmi d'autres", a précisé à l'agence Interfax le chef du comité d'enquête du parquet général, Alexandre Bastrykine. L'enquête est également menée par les services de sécurité (FSB). Selon Youri Rojine, chef du FSB de Samara, deux autres pistes sont à l'étude, celle de l'explosion fortuite d'une bombe artisanale et celle d'une intimidation à mettre au compte des "parrains" de la mafia locale. Très criminalisée, la ville de Togliatti a connu de nombreux assassinats commandités ces dernières années.

Depuis sa nomination par le Kremlin - d'abord à la tête d'Avtovaz et, depuis septembre, comme gouverneur de la région sur décision de Vladimir Poutine -, Vladimir Artiakov s'est engagé à écarter de la direction de l'usine les multiples structures opaques qui y sont implantées. Il a ainsi évincé du conseil d'administration les représentants du groupe Sok, une structure industrielle obscure qui a conquis récemment des sièges au Parlement local. Selon les premiers bilans médicaux, aucun salarié de l'usine ne figure parmi les victimes, mais l'attentat est la première épreuve subie par le gouverneur.

Des passagers du bus disent avoir vu, peu avant l'explosion, deux individus de type slave qui se dépêchaient de descendre. Les enquêteurs évoquent une similitude entre la bombe employée et celle utilisée sur le marché Tcherkizovski de Moscou, fin août 2006, qui avait provoqué la mort de dix personnes, pour la plupart des ressortissants des républiques musulmanes de l'ex-URSS.

L'attentat du marché Tcherkizovski avait été fomenté par un groupe d'étudiants ultranationalistes et racistes. Des brochures avaient été retrouvées à leur domicile qui vantaient la suprématie de la race slave. Cette hypothèse ne s'impose pas à Togliatti, les migrants non slaves y étant moins nombreux qu'à Moscou. Cependant, tous voient dans cet attentat "une provocation à la veille des législatives du 2 décembre", comme l'a souligné le député communiste Viktor Ilioukhine.

Marie Jégo
Le Monde
Article paru dans l'édition du 02.11.07.

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